Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais rangée par une ménagère qui a des loisirs. Le tapis de la table ne vise pas au luxe, mais la table n’en a pas moins son tapis, et le buffet, dans son coin, montre de la vaisselle. L’homme a la figure boucanée, comme fumée dans l’âtre, les yeux roussis, les mains brûlées, mais la « bourgeoise » les a moins noires, et vous sentez, décidément, dans l’ordre qui règne chez elle, une tendance à la « bourgeoisie ». On racontait, pendant la grève, que la femme de l’un des meneurs voulait ouvrir un salon où l’on serait venu prendre le thé. C’était une plaisanterie, mais indiquant bien le nomade à part que peut être le verrier, et le sort, en somme supportable, que peut lui faire son métier, quand il y est habile et actif.


IV

M. Rességuier est peut-être le « patron » de France qui a été le plus menacé de mort dans ces vingt ans. La simple nomenclature des malédictions et des outrages publiés contre lui pendant un mois formerait un effrayant dictionnaire. Était-il donc un directeur inhumain, un patron « tondant » l’ouvrier ? Il rappellerait plutôt, à le voir et à l’entendre, certains républicains de 1848. Philanthrope à leur façon, ayant comme eux la coquetterie de sa philanthropie, il aurait pu être, sous une monarchie, un de ces patrons démocrates que leurs ouvriers envoient à la Chambre en reconnaissance de leurs gros salaires, et qui mettent le comble à leur popularité en siégeant parmi les ennemis de la dynastie. Les salaires de M. Rességuier n’étaient sans doute que des « salaires », mais les plus élevés de toutes les verreries de France, et M. Jaurès, son ennemi, l’a reconnu lui-même dans ses discours. Il entoure le fait de commentaires malveillans, le déprécie et le diminue, mais le reconnaît. En outre, à ce qu’on affirme, M. Rességuier donnait une indemnité de vingt francs aux ouvriers appelés comme réservistes au régiment, envoyait gratuitement le médecin aux malades, et n’aurait rien changé, encore aujourd’hui, à ces traditions. Il était même allé jusqu’à encourager de sa considération et de sa bourse le syndicat des verriers, lui avait donné mille francs, lui demandait des conseils, le consultait sur la valeur professionnelle de ses membres, et le traitait presque en associé. Il allait peut-être ainsi un peu trop loin, et peut-être dans une intention politique, mais le verrier