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Son fils ne lui ressemblait guère. Henri de Treitschke, comme le remarque M. Schiemann, qui cette fois a rencontré juste, était un homme très passionné. Il avait du tempérament, le sang chaud, la tête bouillante ; il aimait les contestations, les débats, les disputes ; il ne craignait pas les coups, il était bien aise d’en recevoir, il était sûr de les rendre. Dans sa jeunesse, se méprenant sur sa véritable vocation, il s’était cru né pour être un grand poète. Il a composé des odes et des chansons, rêvé d’écrire une épopée, esquissé le plan d’un drame qui resta longtemps sur le métier, et qu’il n’a jamais achevé. Un ami de bon conseil lui représenta qu’il est de beaux métiers qui ne nourrissent pas leur maître, que selon toute apparence le directeur du théâtre de Dresde ne recevrait pas son drame. Il se découragea et bien lui en prit. Quoi qu’il en pensât, il n’eût jamais été un grand poète. La poésie lui aurait servi à démontrer des thèses, à honnir la Diète de Francfort, à glorifier la politique prussienne et le roi Guillaume. La poésie démonstrative est un genre inférieur.

Toute réflexion faite, il se voua à l’enseignement, et il s’acquit en peu de temps la réputation d’un habile et éloquent professeur. Il avait le talent de la parole, le don de convaincre, d’entraîner, de remuer un auditoire. Cet homme passionné, qui se vantait de savoir aimer et haïr, communiquait aux autres ses émotions, ses enthousiasmes et ses haines. Il va sans dire que, quelque sujet qu’il traitât, il assaisonnait ses cours de fréquentes allusions à l’histoire contemporaine, aux événemens du jour ; qu’il s’occupât des Stuarts ou des Hohenstaufen, il n’oubliait jamais la Diète de Francfort et la Prusse ; il les amenait de loin, de très loin : c’étaient son vin et ses épices. Ceux de ses collègues qui lui enviaient sa popularité l’accusaient d’avoir une éloquence de tribun ; la jeunesse goûtait sa véhémence et ses sorties. Dès ses débuts, il obtint de grands succès ; bientôt il n’y eut plus de salle assez grande pour contenir la foule de ses auditeurs ; il refusait du monde, et quelquefois il avait peine à se frayer un chemin jusqu’à sa chaire.

Professeur et écrivain, l’éloquence était son don, parce qu’il jugeait de tout avec passion, et l’auteur de la volumineuse Histoire de l’Allemagne au XIXe siècle, qui reste malheureusement inachevée, a été considéré comme le plus éloquent des historiens allemands ; mais ce n’est pas le plus sûr, ni celui qui a le plus d’autorité et qui inspire le plus de confiance. Jadis un fougueux sectaire qui avait écrit une histoire de la Réformation plus sentimentale, plus pathétique qu’exacte, rencontrant dans un congrès savant Léopold de Ranke, l’embrassa, en