Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le Passé, de M. de Porto-Riche, est une comédie que l’on devine supérieure à ce qu’elle paraît et qui, à cause de cela, n’est pas très facile à juger. Cette comédie, si distinguée, est la plus brillante démonstration de cet axiome si banal : Ne quid nimis. On dirait que l’auteur s’est congestionné dessus et que, n’y trouvant jamais assez de traits d’esprit, ni de traits d’observation, ni de traits de passion, il « en a remis » tous les jours pendant des années. La disproportion y est énorme entre la matière et le développement. C’est, à ce qu’il me semble, la première cause de ce que le succès a eu d’hésitant.

Le sujet est simple ; plus simple et plus court que celui de la Visite de noces, qui n’a qu’un acte et qui y tient à l’aise. — Dominique Brienne, restée veuve à vingt-cinq ans, a eu pour amant François Prieur, un « homme à femmes », ou plutôt « l’homme à femmes », car il n’a point d’autre trait distinctif. Lâchement abandonnée, elle s’est consolée en faisant de la sculpture et a conquis son indépendance. Elle méprise l’homme décevant et faux par qui elle souffrit tant ; sa caractéristique, à elle, c’est la loyauté, une intransigeante horreur du mensonge. Elle a maintenant trente-huit ans et se croit « sauvée ». À ce moment (fin du second acte) elle se retrouve en présence de François. Elle est profondément troublée et découvre avec épouvante qu’elle l’aime encore.

Toute la question est donc de savoir si elle retombera, ou non, aux mains de son ancien amant ; si elle se laissera ressaisir par son passé ou si elle s’en évadera. Sa situation morale comporte deux sentimens : le désir de céder et la terreur de ce qui adviendra d’elle si elle cède. Ces deux sentimens sont alternativement exprimés dans quatre scènes, — dont deux extrêmement longues, — et qui ont ceci de singulier, que chaque « réplique » y est précise et brève et que l’ensemble en paraît redondant et prolixe. — Dans la première de ces quatre scènes, Dominique est émue, puis se reprend ; dans la deuxième, elle sent qu’elle va faiblir, mais résiste de nouveau parce qu’elle se ressouvient ; dans la troisième, elle se laisse aller ; dans la quatrième, ayant su qu’il continue à lui mentir, elle essaye encore de résister, puis s’abandonne encore, puis se reprend définitivement, sur un dernier mensonge par trop effronté de François. — La même scène recommence ainsi, chaque fois plus montée de ton, j’en conviens, et suivant un crescendo du désir de Dominique, et de son angoisse, et de ce qu’elle a à pardonner : mais enfin c’est bien la même scène, toujours. Et notez que, dans les intervalles, cette scène, déjà si ressassée, se répète encore, par surcroît, sous forme de confidences à des personnages accessoires.