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ces éternelles variations sur le thème de Leone-Leoni ; et l’on songe que, si celle sorte de revendication et d’affichage d’une spécialité et d’un monopole psychologique a fait beaucoup pour la réputation de M. de Porto-Riche, il n’est pas impossible qu’elle le desserve un peu aujourd’hui, l’étroitesse du canton moral où il s’est emprisonné nous apparaissant mieux à chaque fouille nouvelle qu’il y entreprend.

Quant à Dominique, qui, elle du moins, se distingue un peu des autres amoureuses de M. de Porto-Riche et pour qui nous sommes d’abord très bien disposés, elle a, non seulement comme femme, mais comme amoureuse de théâtre, une malechance : c’est de friser la quarantaine et c’est d’être, à cet âge, atteinte d’une passion qui ne peut être que physique, puisqu’elle n’a pas l’ombre d’illusion sur son amant. Et comme François, de son côté, n’est point un petit jeune homme, — et, au fait, je l’aime mieux pour elle, — il reste que cela fait tout de même deux amans un peu mûrs. (Je continue à me placer ici « au point de vue » du public.) Il est peut-être vrai que c’est dans l’âge mûr qu’on est le plus profondément et le plus consciemment sensuel ; mais il est vrai aussi que l’image prolongée d’amours quadragénaires et uniquement charnelles ne séduira jamais à fond douze cents spectateurs assemblés. Ils y sentiront vaguement la violation d’une « convenance » naturelle et esthétique ; et, bien qu’ils aient pu voir autour d’eux, dans la réalité, des violations semblables, ils en éprouveront un malaise que je constate sans le partager. Au moins les « femmes damnées » de Racine, Hermione, Roxane, Ériphile et Phèdre, sont-elles déjeunes femmes et qui n’ont jamais plus de vingt ou vingt-cinq ans. Mais que nous veut cette enragée dont les cheveux grisonnent et qui n’aime pas une minute avec son cœur ?...

Joignez un artifice de dialogue qui contribue à allonger la pièce démesurément. Dans le texte imprimé, et surtout quand le fâcheux trio Bracony-Mariotte-Béhopé est en scène, vous verrez des quinze et des vingt pages où pas une « réplique » n’a plus d’une ligne ou deux. Tels les dialogues monostiques ou distiques des tragiques grecs ; mais ceux-ci ne s’en servaient que par exception et discrètement. C’est bien un artifice : car, dans la réalité, le rythme de la conversation n’a jamais rien de cette régularité lancinante et implacable. Et cet artifice étonne, dans une pièce d’un caractère visiblement réaliste. Cela rappelle (en un genre combien différent !) ces dialogues hachés menu des romans de Dumas le père, qui sont un procédé astucieux pour dire les choses le plus longuement possible en ayant l’air de les dire avec une rapidité vertigineuse. M. de Porto-Riche a une telle horreur de la « tirade » (et