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pourtant la tirade est dans la nature) que lorsque Dominique tient des propos un peu suivis, il les coupe gratuitement en petits morceaux de cinq lignes par des réflexions ou des interjections tout à fait insignifiantes de son interlocuteur. Et, les coupant ainsi, en même temps qu’il en diminue l’effet, il les fait paraître longs, même quand ils ne le sont pas.

Enfin, si je ne craignais de peiner les gens, je dirais qu’une quatrième cause de l’incertitude du succès, c’est la faiblesse de l’interprétation, encore que Mme Sisos, elle du moins, ait tiré son épingle du jeu, qu’elle ait eu d’assez beaux momens de passion, et qu’on ne puisse lui reprocher qu’un peu de monotonie.

Et avec tout cela (car j’ai rapporté les objections du public plutôt que les miennes), l’œuvre est de qualité rare. La première entrevue de Dominique et de François est exquise de nuances ; la dernière grande scène est toute pleine de choses douloureuses et profondes ; et rien, dans l’intervalle, n’est insignifiant en soi. La langue est constamment précise, solide et souple. L’esprit y est cravachant, et si tous les mots ne sont pas neufs, ce n’est pas une affaire. — Par malheur la pièce est, comme j’ai dit, pléthorique, toute surchargée d’inutilités encombrantes et qui la rendent malaisée à suivre. L’auteur est incapable de rien sacrifier de ce qu’il a trouvé avec effort. Indulget sibi. Il pressure encore ce qu’il a déjà épuisé ; il écorche les plaies ; il recreuse les trous ; il s’enfonce dans son sujet jusqu’à s’y enfouir ; c’est le fourmi-lion de la pathologie amoureuse.

Mais il excelle à faire parler le désir


J’ai peu de place pour vous entretenir de la Ville Morte, et il m’en faudrait beaucoup.

L’idée de M. Gabriel d’Annunzio est fort belle. Il a voulu faire une tragédie dont les personnages fussent d’aujourd’hui, mais où la passion fût aussi entière et fatale que dans la tragédie antique. Il a choisi, pour cela, une petite bande d’archéologues installés près des ruines de Mycène, et pour qui la fatalité meurtrière et incestueuse des Atrides et des Labdacides surgit de la poussière des tombes remuées. C’est Léonard et sa sœur, Blanche-Marie ; c’est Alexandre et Anne, sa femme, qui est aveugle. Pendant que Léonard, avec un trouble affreux, désire sa propre sœur, une mutuelle passion dévore Alexandre et Blanche-Marie. La douce aveugle devine cet amour, et le pardonne ; mais elle le révèle innocemment à Léonard, qui, n’en pouvant supporter l’idée, noie Blanche-Marie dans l’antique fontaine Perséia. C’est tout. Les