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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/777

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en retraite, les députés après un certain nombre d’années de législature, etc., faites nommer les autres sénateurs, partie par le Sénat lui-même, partie par les collèges électoraux bien organisés, et vous aurez une constitution républicaine à peu près parfaite[1].


II

La constitution conçue par le Prince avait été rédigée par Rouher. Ce ministre allait la compléter par le décret réglementaire des élections et de la presse, lorsqu’une crise ministérielle lui fit tomber la plume des mains et la mit dans celles de Persigny. Le décret sur les biens d’Orléans avait été le motif déterminant de cette crise.

Les d’Orléans étaient exilés par une loi républicaine de 1848 dont Berryer avait empêché l’abrogation. Le Président, n’ayant pas à se montrer plus royaliste que le chef du parti royaliste, leur appliqua les rigueurs inventées par d’autres, et les obligea à vendre tous leurs immeubles situés en France. S’appropriant une proposition de Jules Favre à la Constituante, il prononça la nullité de la donation consentie à ses enfans par Louis-Philippe, la veille de l’acceptation de la couronne, pour éluder la dévolution de ses biens à l’État, exigée par l’ancien droit royal.

Ces décrets exaspérèrent les salons ; il y eut une pluie d’épigrammes : « C’est le premier vol de l’aigle », dit-on. Montalembert se retira indigné de la Commission consultative. La plupart des ministres, à antécédens orléanistes, opinèrent contre. La princesse Mathilde, en souvenir des bontés de Louis-Philippe, essaya par ses prières les plus suppliantes de les conjurer. La passion tenace de Persigny l’avait emporté. « On frappait à coups redoublés, disait-il, sur les ennemis d’en bas ; pourquoi ne prendrait-on pas des précautions contre ceux qui, en haut, ont été et resteront les ennemis irréconciliables ? » Le raisonnement n’était pas juste ; tout bien considéré, un gouvernement est bien plus maître des prétendans dont il tient sous la main la personne et les biens que de ceux auxquels l’exil assure la liberté des actes et des paroles.

  1. D’après M. de Chaudordy, c’était aussi l’avis de Gambetta : « Il nous a dit souvent, raconte M. de Chaudordy, que la constitution qui convenait le mieux à notre pays et qui avait ses préférences était celle de la présidence du prince Louis-Napoléon. Elle a pour base essentielle, on le sait, l’exclusion des ministres de la Chambre et la responsabilité directe du chef de l’État. » (La France en 89, p. 100, en note.)