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de l’une ou les hasards de l’autre. Proudhon, dans ses Contradictions économiques, a tour à tour attaqué et défendu la propriété, l’association, par des argumens tellement décisifs qu’en vérité, en fermant le livre, on ne sait plus pour quoi se prononcer. Le même livre serait encore plus facile à composer pour ou contre la monarchie, pour ou contre les diverses formes pratiquées ou praticables de la monarchie et de la république. Que d’excellentes raisons en faveur de l’hérédité dans une même famille I et comme il serait facile d’appuyer l’opinion de Renan que, « sans dynastie, on ne peut constituer de cerveau permanent à une nation ; qu’un pays qui n’a pas de dynastie unanimement acceptée est toujours, dans ses actions, un peu gauche et embarrassé[1] » ; et que les armées qui n’ont pas à leur tête ces drapeaux vivans qu’on appelle des princes manquent de consistance et d’unité !

Mais que de fortes raisons en sens contraire ne peut-on pas invoquer en faveur de la république ! Et comme on pourrait démontrer qu’une de ses premières qualités est précisément celle qu’on lui refuse, la stabilité ! « Car un peuple est plus susceptible qu’un individu de persévérer pendant des siècles dans le même sentiment[2]. » Et quelles facilités de gouvernement ne donne-t-elle pas ! Aux oreilles du peuple, il y a dans ce mot une musique d’indépendance qui ne résonne pas dans le mot de monarchie : toute sujétion lui paraît une liberté dès qu’elle s’intitule républicaine ; des fautes, des abus, des scandales auxquels aucune monarchie ne résisterait, n’ébranlent pas même une république ; elle secoue ses feuilles mortes et elle continue à reverdir. La sédition éclate-t-elle dans la rue, étant anonyme, et ne craignant pas d’être accusée de carnage dynastique, elle réprime et sévit sans miséricorde.

A quoi donc se résoudre ?

A ne pas trancher sur des questions aussi douteuses ; à ne pas mettre de la foi, c’est-à-dire de l’absolu, dans ce qui est essentiellement du relatif ; à ne pas convertir en principes des arrangemens inspirés par des circonstances variables. En pareille matière, une conviction est nécessairement provisoire, car tout est affaire d’opportunité, de temps et de lieux. La

  1. Discours en réponse à M. Claretie et à M. Cherbuliez. Voir aussi De la Monarchie constitutionnelle en France.
  2. Machiavelli, Dei discorsi, lib. I, ch. LVIII.