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Empereur[1]. » L’intérêt de la Révolution, selon lui, l’exigeait : la France voulait absolument un roi ; à son défaut, elle ramènerait les Bourbons, ou bien l’armée (inaugurerait le règne des prétoriens en le proclamant dans les camps. Le prince Louis-Napoléon ne pouvait être entraîné par aucune des mauvaises raisons auxquelles son oncle avait eu le tort de céder. Il n’avait à redouter ni un rappel des Bourbons par la France républicaine, ni le pronunciamiento impérialiste d’une armée assouplie au respect du fait accompli, quel qu’il soit.

Au contraire, une troisième considération, plus forte encore que les précédentes, lui déconseillait le rétablissement de l’Empire : il rendrait sinon impossible, du moins très difficile l’accomplissement du programme d’action qu’il s’était tracé. Si, à l’intérieur, il se fût contenté, en s’appuyant sur un cléricalisme modéré, de comprimer toute idée, toute liberté politique et d’y suppléer par le développement des intérêts matériels ; si, à l’extérieur, il se fût tenu aux prétentions modestes et prudentes de la théorie de l’équilibre en renonçant à toute guerre d’honneur ou d’affranchissement ; s’il avait voulu la paix toujours et partout ; s’il n’avait pas projeté des réformes sociales, des lois démocratiques ; s’il ne s’était pas considéré au dedans et au dehors comme le tribun des peuples ; s’il avait été convaincu « qu’avec les masses lourdes, grossières, dominées par les plus superficiels des intérêts, auxquelles le gouvernement et le jugement des choses ont été transportés, avaient disparu les nobles soucis de la France d’autrefois, le patriotisme, l’enthousiasme du beau, l’amour de la gloire » ; s’il avait fondé l’éternité de sa dynastie « sur l’abaissement auquel arrive toute société qui renonce aux hautes visées », s’il avait, en vue de sa conservation personnelle, accepté pour le pays « la mort lente de ceux qui s’abandonnent au courant de la destinée sans jamais la contrarier »[2], la restauration de l’Empire n’aurait eu aucun inconvénient. Les dynasties anciennes, saluant son nouveau titre avec confiance, l’auraient admis à titre de frère dans le grand parti du repos, et le vieux Metternich l’aurait béni comme son successeur. A l’intérieur, la banque et le commerce l’auraient exalté, et il eût trouvé dans les transfuges, les fatigués, les désillusionnés des anciens partis, plus d’administrateurs, de ministres, de préfets, de diplomates qu’il n’en aurait

  1. Mémoires de Miol de Melilo, t. II, p. 162, 217, 242.
  2. Renan, la Réforme intellectuelle et morale, p. 17 et 35.