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fleurs[1]. » Le Président, en entrant dans la ville, debout dans sa voiture, la tête découverte, répondait à l’enthousiasme de la foule. Ce spectacle avait pour témoin un homme destiné à un grand rôle, observateur froid et désintéressé, le colonel Roon, venu à la suite du général Hirschfeld pour complimenter le Président. Il remarque d’abord que les ovations ne changeaient pas sa manière tranquille et amicale, puis il note le sentiment de la foule : « La population le saluait partout avec entrain, criant la plupart du temps : Vive Napoléon ! plus rarement : Vive le Président ! ou Vive l’Empereur[2] ! »

Persigny, lui-même, n’ignorait pas les véritables dispositions du pays : « Depuis le coup d’État, la République n’existait plus que de nom, mais le passage de la forme républicaine à la forme monarchique, désiré par les uns, redouté par les autres, apparaissait encore si difficile à réaliser que personne n’eût osé s’en déclarer publiquement partisan. Obéissant comme à un sentiment de pudeur, la nation semblait écarter de son esprit la nécessité d’une autre transformation. Elle avait acclamé la République depuis si peu de temps qu’il lui répugnait de songer à une nouvelle évolution… Chaque jour, la situation devenait plus calme, plus régulière, et chaque jour paraissait reculer le moment de la résolution suprême[3]. »

Persigny eût voulu commencer la pression sur la volonté du rince par une manifestation du conseil des ministres, dans lequel Fould venait de prendre la place de Casabianca au ministère d’Etat, et Drouyn de Lhuys, celle de Turgot aux Affaires étrangères. Le Président avait décidé un voyage dans les départemens du Midi : « Quelle attitude recommanderai-je aux préfets dans le cas où les populations crieraient : Vive l’Empereur ? » demanda Persigny. À cette interrogation, dont chacun comprit l’arrière-pensée, les membres du Conseil se lèvent, quittent leurs places, criant, gesticulant, se groupant dans les embrasures des fenêtres, puis reviennent vers Persigny comme des furieux, lui demandant s’il voulait la guerre civile. L’émotion calmée, le Président lui reproche ses insinuations, blâme toute idée de changement et toute tentative de manifestations inconstitutionnelles. « Je ne veux pas, dit-il, que le pays soit guidé ; je veux qu’on le laisse libre

  1. Saint-Arnaud, Lettres.
  2. Roon, Mémoires, t. 1, p. 252.
  3. Mémoires, p. 171.