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Le dire de Persigny était vrai. Le Prince, inébranlablement certain qu’il gouvernerait la France, avait parfois annoncé jadis que ce serait en qualité d’Empereur ; au contact des choses, il était devenu moins affirmatif et s’était persuadé qu’il trouverait plus de force et de sécurité dans la République. La seule prise qu’on eût sur lui pour l’amener à changer d’avis était d’évoquer le fantôme du peuple. Il avait la superstition de la souveraineté nationale et il se croyait tenu de lui obéir toujours, même contre son propre sentiment. Il avait voué aux volontés du peuple une soumission égale à celle du parlementaire aux décisions de son parti.

La tactique de Persigny consista donc à provoquer autour du Président de bruyantes manifestations impérialistes. Dans un certain monde, cela n’était pas difficile. Au Théâtre-Français, le 23 octobre, le Prince assistait en grande loge à la représentation de Cinna. Dès la rue Saint-Honoré, son arrivée fut saluée par une foule des plus compactes, criant : Vive l’Empereur ! A son entrée dans la salle, ces mêmes cris étaient poussés par toute l’assistance debout. La majorité du pays n’était pas à ce diapason. Satisfaite de la déroute des rouges, elle goûtait tranquillement le bien-être de la délivrance ; elle en savait gré au libérateur et était prête à le lui témoigner, comme il le souhaiterait, même en rétablissant l’Empire. Elle n’aimait pas beaucoup cette présidence décennale, à la fin de laquelle elle entrevoyait de nouvelles agitations, mais elle se fût contentée de sa transformation en présidence viagère. La passion du rétablissement de l’hérédité la hantait d’autant moins qu’elle eût alors profité au fils du prince Jérôme, que ses opinions, surtout religieuses, et ce qu’on racontait à tort ou à raison de la liberté de ses manières, rendaient suspect.

Dans deux occasions, l’opinion véritable du pays se manifesta clairement. Les Conseils généraux, récemment élus, se réunirent : la question de l’Empire s’y posa : neuf seulement le demandèrent formellement ; quarante-neuf se bornèrent à souhaiter que le pouvoir fût consolidé et perpétué ; vingt-sept à signer des adresses de félicitations. Ce n’était plus l’unanimité pressante qui, en 1851, avait réclamé la révision.

En juillet, le Président alla en compagnie de Saint-Arnaud inaugurer à Strasbourg le chemin de fer. Aucune organisation officielle de l’enthousiasme n’avait été ordonnée par Persigny ; les populations étaient livrées à elles-mêmes. « Le voyage se fit au milieu des acclamations et d’une mitraille de bouquets et de