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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/811

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bâtimens de l’État : — Vous le donnerez, dit l’Empereur, à M. Guigniaut, un savant fort estimé. — Certainement, Sire, répond le ministre d’État. Mais celui-ci avait résolu de réserver l’appartement à un autre savant, son protégé, M. Beulé. Il découvre dans un coin de l’édifice quelques mauvaises chambres inhabitables, il les attribue à M. Guigniaut, qui ne peut les occuper, et installe M. Beulé dans le beau logement. — Avez-vous fait ce que je désire pour M. Guigniaut ? demande l’Empereur quelques jours après. — Certainement, Sire. — Il en allait ainsi dans les affaires plus importantes.

L’Empereur n’était pas sans s’en apercevoir parfois ; bien souvent aussi, il en était avisé par la dénonciation d’un rival aux aguets, par la lettre d’un informateur subalterne, par le propos d’une personne de la cour, par le hasard. Alors il gourmandait le ministre pris en faute ou dénoncé : — « Je suis responsable de fait et de droit de tout ce qui se passe, écrivait-il à Vaillant, et j’en ignore cependant une grande partie. Si j’envoie directement un officier prendre des informations sur les lieux, tous les agens se concertent pour les lui déguiser, et s’il signale un de ces mille abus inséparables de la nature des choses, on lui garde rancune au lieu de lui savoir gré. » (7 février 1856.) A Persigny, il écrivait : « Il faut bien que les ministres se pénètrent de l’esprit de la Constitution qui les rend responsables vis-à-vis de moi seulement, ce qui revient à me rendre responsable de leurs actes. Ils ne doivent donc rien faire d’important sans mon assentiment. » (9 février 1863.) Les ministres s’inclinaient, promettaient de ne plus recommencer, et recommençaient incontinent, sauf à prendre mieux leurs précautions afin de n’être pas surpris de nouveau.

« Gouverner par lui-même, a dit Saint-Simon de Louis XIV, fut la chose dont il se piqua le plus, dont on le loua et le flatta davantage et qu’il exécuta le moins. » Il serait injuste d’appliquer sans restriction un jugement pareil à Napoléon III. Surtout dans la première portion de son règne, il a réellement gouverné lui-même ; dans les hautes sphères, il a été vraiment le maître de sa politique. Mais même alors, et à plus forte raison plus tard, quand l’implacable maladie eut affaibli son activité, dans les détails de l’exécution, il n’a pas été plus obéi que Louis XIV, ni moins mal secondé.


EMILE OLLIVIER.