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superflues. Le prince de Condé, depuis le licenciement définitif du corps des émigrés[1], était venu chercher en Angleterre un repos bien gagné, qu’il ne se souciait guère d’interrompre. Après douze ans de travaux et de peines, il jouissait enfin avec satisfaction, dans sa propriété de Wanstead-House, de « la vie paisible d’un bon gentilhomme campagnard ». La société de son fils, installé auprès de lui, l’arrivée de Mme de Monaco, qui le rejoignit bientôt, ne tardèrent pas à compléter le charme de son intérieur ; et ses lettres à sa fille retracent, de son domaine et de son existence, un aimable tableau : « Tout est gazon et bois ; deux étangs, une rivière ; point de chutes ni de ruisseaux, mais des sites très agréables, une grotte en coquilles digne d’être à Chantilly… Je suis très tranquille, je ne me mêle de rien. Le whist, le trictrac et le piquet partagent mes soirées. Le jour, c’est la promenade, la lecture, et de petits travaux dans le jardin. Votre frère, suivant ses anciennes habitudes, chasse ou, pour mieux dire, cherche à chasser, car il est fort content quand il rapporte un canard, un corbeau ou un hibou. Depuis six mois, il n’a pas encore tué une seule perdrix… Voilà, ma chère fille, la vie que nous menons, et je vous assure qu’elle a des douceurs. » La longue séparation, sans lui faire oublier sa fille, l’a tout au moins accoutumé à se passer d’elle ; il a pris son parti de ces grilles de couvent qui la retiennent au loin de sa famille, et ne tente nul effort pour l’attirer vers de plus proches régions. « Vivez en paix, ma chère fille, cela n’est pas donné à tout le monde… Je ne troublerai votre repos ni par mes regrets, ni par les nouvelles extérieures qui désormais vous intéressent peu. » C’est par ces paroles pleines de calme qu’il accueille la nouvelle de la récente et plus infranchissable barrière qui vient de s’élever entre sa fille et lui.

Le 21 septembre 1802 en effet, une année environ après son arrivée aux Bénédictines de Varsovie, la princesse Louise s’est résolue à prononcer ses vœux. La cérémonie a eu lieu devant « toute la ville assemblée », et sous les yeux de la famille royale. C’est un spectacle qui, dans toute l’assistance, a provoqué une émotion profonde ; Louis XVIII lui-même, peu sensible à son ordinaire, trouve pour le décrire des accens pénétrés : « J’y ai assisté, mande-t-il au prince de Condé, et je puis vous assurer que, n’eût-ce pas été votre fille, ma cousine, une personne que

  1. 1er mai 1801.