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même, fidèlement affectueux, s’installait parfois une semaine auprès de sa sœur, logeant modestement chez le portier de la pieuse maison ou dans l’auberge voisine, et, par sa tenue aux offices, faisant l’édification de la communauté, où, à son grand divertissement, on ne l’appelait que « le saint prince ». Quant au prince de Condé, vers l’an 1808, il se montra moins assidu ; et sa fille découvrit bientôt, avec autant d’ennui que de surprise, la cause de ce ralentissement. Le vieux prince songeait au mariage. Après quarante-huit ans de liaison publique, Mme de Monaco éprouvait des scrupules, et désirait vivement faire enfin consacrer, devant Dieu et les hommes, une union si ancienne et d’une constance si rare. Son dévouement inébranlable, le courage qu’elle avait montré, les sacrifices qu’elle avait faits pendant les longues années de guerre, ne rendaient guère possible de repousser un vœu que la mort du prince de Monaco[1] rendait réalisable. Restait à obtenir le consentement de Louis XVIII. Il fut donné sans résistance, en termes dont la grâce se nuance d’une douce et discrète ironie : « J’approuve, dit-il, je félicite, je vous charge spécialement de faire mon compliment à la princesse. Nous étions déjà cousins par l’usage ; nous le serons en réalité, et j’en aurai autant plus de satisfaction à lui en donner le nom...[2]. » Et il se proclame impatient de saluer, « tanquam sponsus procedens de thalamo », ce marié septuagénaire.

Les royales épigrammes sont pour la princesse Louise une faible consolation du chagrin qu’elle éprouve à se voir imposer cette tardive belle-mère. Une antipathie, profonde autant que secrète, séparait depuis nombre d’années ces deux femmes, dissemblables par les goûts, les idées, le caractère ; et cette disposition naturelle n’avait pu que s’aggraver de la fausseté de leurs situations respectives. « Mlle de Condé, écrivait déjà en 1780 Mme de Bombelles, ne peut souffrir Mme de Monaco, et celle-ci le lui rend bien. » La communauté forcée des premiers temps de l’émigration avait momentanément atténué, sans en détruire la

  1. Honoré III, prince de Monaco, mourut le 12 mai 1793. Six mois après le veuvage de la princesse, il fut déjà question de son mariage avec Condé : « Le bruit des noces qui court à Londres a couru aussi ici, écrivait le duc d’Enghien à son père ; mais je crois que la seule nouvelle de la mort du mari y a donné lieu... Pensez-vous qu’elle le désire ? Cela ne parait pas bien prouvé ; et quand elle le désirerait, ferait-elle faire ce pas de clerc ? Elle trouverait, je crois, une bien grande résistance. » (Lettre du 3 mars 1796. Archives nationales.)
  2. Lettres de Louis XVIII au prince de Condé. Archives de Chantilly.