Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/869

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cause, ce dissentiment réciproque, auquel l’évènement du mariage rendit toute sa vivacité première. La nouvelle princesse de Condé, il faut le reconnaître, fit au début quelques efforts pour se faire pardonner sa victoire, mais ses avances — lettres obligeantes, envoi de menus présens, proposition même de se rendre à Rodney pour saluer sa belle-fille — furent accueillies avec une froideur excessive[1] ; et ces rebuts mortifians provoquèrent un dépit, dont la princesse Louise sentit le contre-coup dans le mécontentement de son père. « Il m’a écrit, se plaint-elle au duc de Bourbon, la lettre la plus sèche du monde, bien qu’il m’y assure de sa tendresse paternelle. Ah ! qu’on a fait de mal à son cœur ! — Il m’a informé avec tout le contournage possible, dit-elle un peu plus tard, qu’il ne viendrait plus me voir... Et toujours des tendresses au pluriel qui me tuent, et auxquelles il faut cependant répondre ! » Cette pénible mésintelligence subsista, en s’aggravant, les cinq ans que dura le mariage. La mort, au bout de ce temps, se chargea d’y mettre un terme ; et la lettre éplorée que le prince, au lendemain même de son nouveau veuvage[2], écrivit à sa fille, présageait le retour d’une affection qu’une puissante influence avait seule pu passagèrement voiler : « Ah ! ma chère fille, quelle horrible perte vient d’éprouver votre malheureux père ! J’ai perdu hier au soir ma plus tendre amie, qui pendant cinquante ans avait fait le bonheur de ma vie. J’espère que vous lui donnerez quelques regrets, car je peux bien vous répondre que vous n’avez jamais eu qu’à vous louer d’elle... Plaignez le plus malheureux des princes, des époux et des grands-pères ! » Après ces justes doléances, il annonce aussitôt sa formelle intention de venir à Rodney, pour y passer la semaine sainte et « mêler ses prières à celles de sa fille. » La réconciliation fut entière, et aucun nuage ne vint désormais troubler une tendre union de famille, seul adoucissement de tant de peines.

L’attitude, un peu raide peut-être en cette circonstance, de Mlle de Condé, s’explique par le changement visible que, depuis quelques années, a subi son humeur. L’adversité, qui réduit les forts et dompte les violens, a parfois des effets opposés sur les natures plus douces : l’injustice du destin révolte leur faiblesse, et leur bonne foi déçue se tourne en amertume. La bonté native de son âme reste sans doute inaltérée ; mais sa franchise est plus

  1. Voir la correspondance de la princesse L. de Condé. Archives nationales.
  2. 29 mars 1813.