Si sa critique s’exerce sur les princes de sa famille, on imagine la façon dont elle traite, dans ses lettres intimes, la plupart des souverains de l’Europe. Il faut l’avouer au reste, le spectacle qu’elle a sous les yeux, pendant les dernières années de l’Empire, est peu propre à réjouir une âme haute et loyale. Le seul homme qui, malgré ses fautes, eût pu, par son génie, forcer son enthousiasme, est également le seul envers lequel il lui soit interdit d’être juste. L’horreur qu’il lui inspire n’a rien qui puisse surprendre. Combien plus méprisables pourtant lui semblent ces vaincus, sans dignité dans la défaite, que le triomphateur traîne derrière son char, asservis à son joug, contens de ramasser les débris qu’il leur jette ! « Je vous assure, écrit-elle à son père, que me voilà presque démocrate, et que j’ai des rois et des empereurs par-dessus les oreilles. Quelle bassesse ! Quel dénûment de toute espèce de sentimens d’honneur, de justice, de probité ! » Le jour où la paix de Presbourg dépossède François II du titre d’Empereur d’Allemagne, l’humilité dont il fait preuve enflamme d’une généreuse colère la petite-fille du grand Condé : « Voilà donc François II désimpératorisé ! Je m’y attendais depuis longtemps ; et il n’est pas dit même qu’il conserve toujours ce qu’il croit avoir encore. Au surplus, tout ceci est bien mérité, et quand on a vogué à force de rames dans l’eau bourbeuse de la lâcheté, il est assez naturel de ne trouver d’autre port qu’un abîme de fange où l’on reste enfoncé. Cette réflexion n’est pas pour François II tout seul ; il commence le branle ; d’autres auront leur tour. » Même note d’indignation au sujet des Bourbons d’Espagne, lors du guet-apens de Bayonne : « Le fils armé contre le père, le père contre le fils, tous deux foulant aux pieds justice, droit, honneur, c’est à quoi l’on ne peut songer sans frémir... Heureux, mille fois heureux les Bourbons de France à côté de ceux d’Espagne, car conserver l’honneur et ses droits, c’est tout ! » Elle n’espère point au reste que « cette horrible affaire » parvienne à ébranler « l’amitié intime » d’Alexandre pour Napoléon : « Quand on a approché ses lèvres de la coupe d’ignominie, il est rare qu’on ne la vide pas en entier. » Mais ce qui, plus que tout le reste, la met hors d’elle-même, c’est le mariage de Marie-Louise : « Voilà donc Bonaparte cousin germain de l’infortunée duchesse d’Angoulême ! Voilà donc une princesse de la maison d’Autriche qui vient se traîner dans les ruisseaux du sang encore fumant de Marie-Antoinette ! Et sa mère était Bourbon ! Qu’a donc l’humanité pour se dégrader à ce point ? »