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dans une souricière », conservée en otage « sous la griffe du tyran » ; car la police, — elle n’en doute pas, — aura vite découvert le lieu de sa retraite. Elle combine dans sa tête mille projets d’évasion, auxquels elle renonce aussitôt ; elle désespère presque du succès, quand elle s’avise enfin « qu’une conduite simple et naturelle » est en définitive ce qui l’exposera le moins ; et elle prend le parti, malgré ses répugnances, d’écrire directement à Fouché, de lui exposer son cas sans réticences, de lui demander, en se mettant entre ses mains, un passeport pour l’Angleterre. La réponse ne vint que le samedi suivant ; elle était favorable. Fouché, — sans consulter l’Empereur, ainsi qu’on le sut par la suite, — accordait le passeport ; il envoyait en même temps le singulier avis de « garder par devers elle l’ancien passeport » qu’elle avait eu du roi, si grande était la confiance du ministre dans la solidité de l’Empire restauré. Le jour de Pâques, après une cruelle semaine, la princesse partait pour Calais, s’embarquait sans encombre, et arrivait à Londres, où, brisée par tant d’émotions et de fatigues, elle tombait sérieusement malade.

On la transporta, dès qu’elle fut mieux, à la campagne, dans le petit cottage de Chelsea. Le duc de Bourbon vint bientôt l’y rejoindre, et la soigna d’une manière touchante : « Elle est très faible et très maigrie, écrit-il à son père, et nous sommes constamment occupés, le médecin et moi, à prêcher pour l’engager à manger de la soupe grasse... Nous avons été bourrés de la manière pétulante que vous lui connaissez. Je fume, quand je vois Mme de Rosière et Mlle Eléonore mangeant de bon bœuf et force côtelettes, et la pauvre sœur du poisson et des légumes au beurre ! » Cet ébranlement de santé et l’impression vivace des récentes angoisses contribuèrent sans doute à exalter l’âme de la princesse ; ses propos politiques, pendant cette période, révèlent une sorte d’exaspération, qu’elle n’était pas au reste la seule à ressentir. Le retour de l’île d’Elbe déchaîna, comme on sait, avec une violence inouïe les passions des partis ; et la colère, faite de déception et de crainte, que souleva parmi les royalistes le coup de main de Bonaparte, explique, sans les justifier, les regrettables excès de la seconde Restauration. De cet état d’esprit, les lettres de la princesse Louise sont un remarquable et curieux symptôme. « Dieu veuille nous tirer des jacobins, des traîtres, des intrigans, et surtout des idées libérales ! écrit-elle à son père dès le 27 mai 1815. L’Expérience