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méthode, — c’est qu’on craint qu’avec la méthode un peu de précision, un peu de certitude ne s’y introduise, et, tôt ou tard, n’y finisse par faire échec à l’entière liberté des opinions individuelles. On n’a pas du tout peur qu’en étudiant l’évolution de la tragédie française nous rabaissions le génie de Racine ou celui de Corneille, ou que nous ne fassions pas sentir combien ils sont tous les deux au-dessus de Mairet ou de Pradon, mais au contraire on craint qu’il ne s’établisse, pour des raisons étrangères à la fantaisie du critique, une façon de penser définitive sur Corneille ou sur Racine, et une façon de penser dont on ne se puisse écarter désormais sans faire preuve d’incompétence, de légèreté, — et de moins d’originalité que d’envie d’en avoir.

C’est qu’en effet, — et c’est encore une autre utilité de l’application de la doctrine évolutive à l’histoire de la littérature et de l’art, — il n’en est pas de plus capable de communiquer au jugement critique une valeur « impersonnelle » et, comme on dit, vraiment « objective ». Soit, par exemple, l’évolution de la poésie lyrique ; — la poésie lyrique, entre laquelle et la haute éloquence, pour des raisons que j’ai données, j’ai signalé plusieurs fois, au scandale des uns, et à l’ébahissement des autres, non seulement des analogies, des ressemblances, mais des échanges, une indétermination d’espèce, et, si je l’ose dire, de véritables « croisemens ». Est-ce que c’est donc moi, qui me suis trouvé embarrassé le premier de savoir de quel nom je nommerais les prophètes, Ezéchiel ou Isaïe, du nom de poètes, et de poètes lyriques, ou du nom d’orateurs et de prédicateurs de morale ? Est-ce que c’est moi qui ai suggéré à Villemain de faire, dans un gros livre sur le Génie de Pindare, et de ce livre même, un perpétuel « parallèle » entre Pindare et Bossuet ? Est-ce que c’est moi qui ai persuadé, plus récemment, à M. Alfred Croiset, dans sa belle Histoire de la littérature grecque, de nous montrer l’éloquence grecque se dégageant et se constituant, pour ainsi parler, des débris du lyrisme expirant ? Est-ce que c’est moi qui ai dicté à Victor Hugo cette pièce fameuse des Mages dont le titre seul, et les premiers vers, suffiraient pour déclarer les prétentions du poète au rôle de prédicateur ?


Pourquoi donc faites-vous des prêtres
Quand vous en avez parmi vous ?


Restreignons le problème à la littérature française, et serrons