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EN PETITE RUSSIE
LE COMMAINDANT DES TROUPES


I

Qu’on se rappelle le dessin de la côte française entre le Cotentin et la Gironde, et l’on aura une figure assez exacte de la frontière qui sépare le monde russe d’avec le monde européen. La Bretagne est une proue qui fend l’Océan : la Pologne, semblable à la Bretagne, est un coin qui pénètre dans les terres allemandes pour les disjoindre et les déchirer. Au sud de ce saillant, un tracé convexe enveloppe la Galicie, golfe slave, et le coupe arbitrairement de la Volhvnie et la Podolie ; le Prout s’offre enfin comme limite et la ligne, qui se refuse, tombe avec le Danube dans la mer Noire.

Les gouvernemens de Vilna, de Varsovie, de Kief et d’Odessa, échelonnés le long de ce front de bandière, font face à l’Occident. En s’étendant au loin vers l’intérieur, ces grands commandemens forment ensemble une zone profonde où s’exerce toute la vie militaire russe, du moins toute la partie européenne de cette vie. Chaque hiver, les conscrits fournis par les districts du centre font route vers ces confins de l’Ouest ; les Cosaques du Don, de l’Oural, du Caucase, viennent s’y joindre à l’armée régulière, et cette migration annuelle n’est pas sans importance quant à la formation d’une conscience nationale et quant à l’unification de la langue et des mœurs.

Pourtant ces rassemblemens, comparés aux garnisons intensives de France ou d’Allemagne, gardent un aspect russe, étalé et