de la faire entendre. Venu en France au sortir de l’Académie d’état-major Nicolas, le capitaine Dragomirov accompagnait nos troupes sur les champs de bataille d’Italie. Témoin de nos succès, il n’en faisait pas, comme d’autres, honneur au seul canon rayé ; pas davantage au plan stratégique, au commandement, à la préparation tactique ; « ces données ont leur signification quant au résultat de la guerre, mais cette signification n’est autre que celle du zéro placé à la droite de l’unité ; sans valeur propre, le zéro ne peut qu’augmenter quantitativement la somme ; et l’unité fondamentale, faute de laquelle le reste tombe à rien, c’est ici comme ailleurs et comme partout, l’homme... »
Où trouver donc un système d’éducation militaire respectueux de la personne humaine et qui tende à accroître l’homme dans l’homme ? Soucieux de ce problème, Dragomirov s’est mis à l’école des maîtres, Souvarov, Maurice de Saxe, Napoléon, Bugeaud ; mais rien ne vaut pour lui la leçon des faits. La campagne de 1866 s’ouvre ; il se rend en Bohême. Comme s’il apportait la paix dans sa poche, il arrive après la suspension des hostilités, à point cependant pour recueillir la preuve nouvelle faite par l’histoire. Par deux fois, en 1859 et en 1866, les Autrichiens ont rendu dangereux et fatal l’ordre qu’ils appliquaient partout et qu’ils croyaient infaillible, leur ordre sur deux lignes avec une réserve. C’est que la meilleure formation peut être mauvaise, la pire disposition devenir opportune, tout dépend de l’application. Rompons donc avec les règles absolues, imposées sans discernement, obéies sans réflexion ; disons que le combat moderne est action libre, œuvre complexe, chose de vie : les bataillons dans le régiment, les compagnies dans le bataillon, les hommes dans la compagnie ont besoin d’indépendance et droit d’initiative. A l’unité extérieure, mécanique, que donnait jadis la liaison rigide établie entre les divers élémens, il faut substituer une homogénéité intime, organique ; à l’autorité unique, omnisciente, l’essor commun des énergies, le jeu intensif des facultés, la solidarité unanime de gens qui veulent une seule chose et qui la veulent de tout leur cœur.
D’un mécanisme à un organisme... Ceux qui savent le train du monde mesureront un abîme entre ces deux mots et, songeant à la carrière de Mikhaïl Ivanovitch Dragomirov, s’étonneront qu’une évolution pareille ait pu tenir dans les limites d’une vie humaine. C’est que cet homme était lui-même un signe des temps, le produit