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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/927

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bras de toute sa longueur et devient un animal étrange, tout yeux et tout lame. D’un geste violent, car il sait combien la vitesse de sa course emporte de son effort, il frappe à droite, relève la main, galope deux foulées, frappe de nouveau. Je ramasse les éclats dont je viens faire mon compliment au colonel. Une expression de joie anime depuis ce matin son rude visage, rouge sous la papaka blanche, hâlé deux fois du froid de l’hiver et de la chaleur de l’été. Il dit que le sabre est un bon outil pour qui sait s’en servir, — les Français pointent, ils ont tort, — et me montre sa vieille lame zaporogue prise jadis sur un Polonais, qui la tenait sans doute de quelque Allemand, car on y lit encore en caractères presque effacés : « Vivat Hollandia. 1614. » Le kindjal aussi a son mérite ; poignard, il sert pour le corps à corps, ou comme ceci pour la rencontre avec l’ours...

— Sauvages si vous voulez, poursuit-il en riant, tandis que je frissonne d’être l’ours dans sa démonstration. Mais j’aime commander à des sauvages ; ils ont plus de cœur que les gens civilisés...

Sur ce champ de manœuvres, au soleil de midi, sauvagerie et civilisation ne sont que des vocables indifférens, et ce n’est pas cette sauvagerie qui en impose, c’est plutôt cette raison que dit le colonel ; c’est la confraternité, c’est la douceur des cosaques ; car on peut éviter une charge, parer des coups de sabre, mais quand une troupe s’en va d’un seul mouvement et n’a qu’un seul cœur, civilisée ou sauvage, on ne l’arrête pas.

— Merci, frères, pour le travail..., crie le général à la sotnia qui se reforme ; et tandis qu’il galope de droite et de gauche pour remercier les autres, celle-ci s’éloigne en musique ; la voix du zapévalo se mêle à la mélopée de la zourna[1]. Que chantent-ils ? Une ballade du Caucase, pareille aux vieilles ballades de l’Ukraine, une complainte militaire apprise de bouche en bouche et qu’on ne trouverait pas dans les livres :


« Au de la de la rivière, au delà du Kouban, dans une vallée, le Cosaque donne le fourrage à son cheval ; puis il l’attache avec le tchoumbour ; il tire son briquet, il allume du feu.

Il cueille des herbes et les fait cuire sur son feu ; il panse ses blessures cruelles et les pansant, leur parle :

  1. Sorte de flageolet nasillard.