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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/938

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facultés et détruisant l’harmonie de l’ensemble. Qu’une telle disposition d’esprit soit compatible avec la modestie, on le dit, mais on ne le croit pas : de grands savans, des hommes de génie ont été modestes ; mais apparemment leur modestie ne venait pas de la conscience qu’ils avaient de leur supériorité ; elle leur venait d’ailleurs. C’est l’habitude que celui qui sait méprise celui qui ne sait pas, et celui qui sait une chose dédaigne celui qui en sait une autre. On s’isole dans un égoïsme hautain et insociable. On se rend compte que l’intelligence est bornée, finalement impuissante, et pourtant on ne peut se fier qu’à elle seule. De là un malaise, un dégoût de l’action. Tous ceux qui ont tâté le pouls à cette société ont reconnu qu’elle souffre de l’excès de l’intellectualisme. Au lieu d’ailleurs d’être effrayée de son mal, elle en tire vanité. Elle ne veut pas s’en guérir. Et le fait est qu’on ne lui propose pas de remède.

De l’abnégation procède l’obéissance. Une hiérarchie. A tous les degrés montans de cette hiérarchie, l’autorité. A tous les degrés descendans, l’acceptation de l’autorité. Il est clair qu’en dehors de cette organisation, il n’y a pas d’armée possible, et que l’idée même en serait vide de sens. « Ne me parlez pas des insoumis, des révoltés. Eussent-ils cent fois raison, penserais-je moi-même comme eux, aurais-je mon frère dans le tas, je les ferais fusiller au premier acte d’insubordination. Où irions-nous, si l’anarchie dissolvait l’armée ? La discipline ! rappelez-vous ce mot terrible et magnifique inscrit à la première page du service intérieur : la discipline est la force principale des armées. » Cette discipline suppose non seulement la foi dans celui qui commande, mais la foi dans le commandement. Elle implique que l’on considère que l’autorité est efficace par elle-même, que la règle est bonne en tant qu’elle est la règle. J’oserai dire qu’aucune idée ne nous paraît aujourd’hui plus difficilement acceptable. On nous a depuis si longtemps et si hautement vanté les bienfaits de la liberté, on a créé en sa faveur une telle prévention, que nous avons eu beau lui devoir nos pires souffrances, elle a eu beau prêter son nom à des crimes, nous n’avons pas cessé d’en adorer le mirage. Elle est l’idole qu’on encense sur les ruines qu’elle a faites. Nous en voulons à l’autorité d’être son contraire. Et nous ne songeons pas que les deux idées ont besoin l’une de l’autre pour se compléter ou pour se faire contre-poids. L’acceptation d’une règle suppose la reconnaissance d’un principe. Mais sur quel principe se fait aujourd’hui l’accord ? Où n’est pas l’anarchie, puisque chacun de nous la retrouve au fond de soi ? Dans l’ancienne société l’individu se sentait de bonne heure encadré : il avait