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contes, et des poèmes encore plus beaux. » Puis, c’est M. Swinburne dont il proclame le talent. « Son Atalante est une noble chose, supérieure à tout ce qui a été fait jusqu’ici dans ce genre. » Il n’y a pas jusqu’aux subtilités psychologiques de M. Meredith qu’il ne juge « merveilleuses ». Et non seulement il admire avec frénésie, mais il entend encore que tout le monde admire avec l’ù : il n’a point de repos qu’Allingham n’ait lu ou vu les œuvres qu’il lui signale ; leur succès lui tient plus à cœur que celui de ses propres ouvrages.

Ajoutons cependant qu’à mesure que les années passent, ses admirations changent d’objets. Tour à tour Millais et M. Burne Jones, Browning et M. Swinburne, Ruskin et William Morris lui apparaissent comme les plus « glorieux » des maîtres. Et sans cesse des noms nouveaux surgissent, dans ses lettres, en remplacement d’autres qu’on n’y retrouve plus. C’est qu’il était aussi prompt au désenchantement qu’à l’enthousiasme, et toujours extrême dans ses sentimens. Il avait raffolé de Byron, durant son enfance : mais quelqu’un lui ayant fait lire les poèmes de Shelley, Byron avait, depuis ce moment, tout à fait cessé d’exister pour lui. Au sortir du Salon de Paris, en 1849, il écrivait que « Delacroix, tant admiré ici, était un parfait imbécile », tandis qu’Ingres « dépassait en perfection tout ce qu’il avait jamais vu ». Six ans plus tard, en 1855, il appelait Delacroix « un des puissans de la terre », et affirmait qu’Ingres ne lui venait pas à la cheville. Après avoir déclare que les Noces de Cana du Véronèse étaient « la plus grande peinture du monde, sans l’ombre d’un doute », il en arrivait à juger le Véronèse « simplement détestable ». Et ainsi de tous.

Cette étonnante mobilité d’opinions, cet enthousiasme toujours débordant, et toujours changeant, cette prodigalité et cette bonté, tout cela ne donne-t-il pas du caractère de Rossetti une idée très différente de celle qu’avaient pu suggérer les Souvenirs de Bell Scott ? Considérées à ce point de vue, les lettres à Allingham ont vraiment toute la portée d’une réhabilitation. Elles montrent que le poète de la Damoiselle Elue n’était pas l’égoïste, le trafiquant, l’homme cupide et sans scrupules qu’on a dit, mais plutôt une façon de bohème, hors d’état de mettre de l’ordre dans sa vie ni dans sa pensée, ou plutôt encore, suivant le mot de Ruskin, « un Italien », dépaysé parmi les Anglais. En vain il se targuait d’être un parfait Anglais, poussant même l’orgueil national jusqu’au chauvinisme, et s’entraînant, par exemple, à tenir les Français pour une race inférieure. L’Angleterre ne lui a jamais été qu’une