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opportun, nous avons fait entendre à Constantinople un léger air de flûte, qui avait pour objet d’amener le Sultan à s’entendre avec la Grèce, et à se montrer déférent envers les représentations collectives de l’Europe. Nous avons agi sur lui par la douceur et la persuasion. S’il faut exercer aujourd’hui une action plus forte, une pression positive, nous n’en sommes plus. Si la Porte s’était mise d’accord, spontanément et à l’amiable, avec toutes les puissances, au sujet de la candidature du prince Georges, nous n’y aurions pas vu d’inconvénient. En cas de désaccord, nous nous retirerons : nous déposerons tranquillement notre instrument, et nous quitterons la salle du concert. Quant à ce qu’il adviendra de la Crète, les dieux seuls en ont le secret ; mais nous ne nous laisserons pas impliquer dans des complications pour si peu de chose. Encore une fois, notre concours pour les affaires d’Orient n’est assuré qu’à ce qui touche au maintien de la paix et à sa consolidation. Et si nous ne voyons pas volontiers des peuples se battre au fond de la Turquie, le premier souci du gouvernement n’en est pas moins, quoi qu’il puisse d’ailleurs en advenir pour la Crète, d’assurer aux Allemands, dans leurs foyers, la tranquille jouissance des bienfaits de la paix.

Un tel langage est assurément peu propre à fortifier la candidature du prince Georges auprès de la Porte ; mais il l’est à fortifier à Constantinople l’influence allemande. Si le discours de lord Salisbury était peu pressant, celui de M. de Bulow ne l’est pas du tout. Il est même le contraire. Il met le Sultan très à son aise. Mais il y a autre chose encore dans ce morceau oratoire qui, sous une forme humoristique, présente une politique très méditée et très arrêtée. À propos de la candidature du prince Georges de Grèce, l’Allemagne se montre prête à quitter le concert européen. Ce concert, objet depuis quelque temps de critiques et aussi d’éloges également vifs, serait-il donc sur son déclin ? Les critiques ont consisté principalement dans le reproche d’avoir paralysé en Orient la bonne volonté des puissances qui auraient voulu agir ; les éloges à attribuer au concert le mérite de tout le mal qui n’a pas été fait. À quelque point de vue qu’on se place, ce n’est pas un instrument d’action : tantôt il empêche le bien, et tantôt il empêche le mal, mais il empêche toujours quelque chose. Qu’il ait contribué au maintien de la paix, on ne saurait le nier sans injustice ; qu’il soit indispensable à ce maintien, c’est une vérité plus contestable. Dans les velléités de retraite qu’elle fait entrevoir, l’Allemagne ne cesse pas de parler de la paix. Croit-elle mieux l’assurer en rompant le concert européen ? Ce serait une proposition difficile à soutenir.