et la nation française qui a fondu tant de races diverses dans le moule du génie latin prend une conscience plus claire de ses destinées à l’aspect de ces ruines robustes qui satisfont son éternel besoin d’ordre, de force et de clarté.
Par une singulière fortune, sur le sol d’Afrique, rien ne s’interpose entre nous et ce passé qui semble d’hier, que l’on touche du doigt. Voici, par exemple, les restes de Suffetula, ses trois temples accolés, son arc de triomphe, son aqueduc, ses rues encore visibles ; amas de pierres augustes dorées par le soleil, dernier tombeau de la civilisation romaine. Ce fut là qu’en 647, fut vaincu et tué le patrice Grégoire, et ce jour mémorable marque la fin du règne de l’esprit latin sur la terre d’Afrique. Telles la tourmente arabe a laissé ces ruines, telles elles sont encore, à peine désagrégées par l’action lente des pluies et par les dégâts de quelques tribus voisines. Le silence s’est fait autour d’elles comme il s’est fait dans l’histoire. Mais lorsque, tout récemment, le résident général de France est venu camper sur ce débris, on peut dire que la chaîne des temps a été renouée. Pour la première fois depuis Grégoire, l’arc de triomphe découronné a vu passer un fonctionnaire dont la langue rappelait l’inscription brisée de son attique ; et quand un feu de joie allumé par les indigènes fit tout à coup resplendir dans une lueur d’incendie le fronton des temples, l’ombre du patrice dut tressaillir : ces nomades, fils dégénérés des grands démolisseurs d’autrefois, venaient, sans le savoir, de célébrer la revanche de Rome.