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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/163

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déjà que le propos les avait alléchés, mais, dès qu’ils l’eurent plus attentivement regardée, ils se calmèrent ; l’extraordinaire expression du visage de Jeanne étonnait les plus hardis.

S’étant juré de vaincre le mauvais vouloir de Baudricourt, elle vint gagner son pain à Vaucouleurs et partagea son temps entre la prière ardente et le travail. Cependant, son renom commençait à s’étendre, Baudricourt commençait à douter ; craignant seulement qu’elle ne fût sorcière, il requit le curé de venir l’interroger. Jeanne fut reconnue bonne chrétienne, sans rapport aucun avec le démon ; elle revint pourtant au village avec son oncle, Baudricourt n’ayant fait autre chose pour elle que d’écrire à la cour.

Ce ne fut que pour peu de temps. Les nouvelles du siège d’Orléans l’enflammèrent à nouveau et la ramenèrent à Vaucouleurs vers le commencement du carême : avant le milieu du carême, elle devait paraître devant le Dauphin, quand elle devrait user ses jambes jusqu’au genou pour y aller.

« Personne, excepté moi, ne peut rétablir le trône de France ; j’aimerais mieux rester auprès de ma pauvre mère, et faire ce que j’ai soulé faire, mais je dois partir ! »

Or, la foi commença à mouvoir les montagnes ; deux nobles, de Metz et Poulangis, séduits par ses discours, et par son air inspiré, lui donnèrent leur foi et jurèrent de l’accompagner sous la conduite de Dieu. Le bruit de sa sainteté et de ses révélations se propageait et se confirmait ; le duc de Lorraine, étendu sur son lit de mort, la fît venir à Nancy et lui demanda son conseil pour recouvrer la santé. « Ces choses, répondit-elle, ne lui avaient pas été révélées. » Elle revint en hâte à Vaucouleurs.

Baudricourt, ayant enfin résolu de l’envoyer au Dauphin, les gens de Vaucouleurs se cotisèrent pour lui acheter un cheval et un habit d’homme. Baudricourt lui donna l’épée et lui fournit une escorte : six cavaliers, un lanternier et deux valets armés. De Metz, Poulangis, un envoyé du roi s’ajoutèrent à cette petite troupe. « Adieu, adieu ! Advienne que pourra… » criait au départ l’incrédule Baudricourt ; les gens de Vaucouleurs, sentant mieux le sacrifice de Jeanne, s’attendrissaient sur son sort. « Ne me plaignez pas ! criait-elle en s’éloignant, je suis née pour cela ! »

Elle partit de la sorte pour franchir les cent dix lieues qui la séparaient du Dauphin. C’était le 24 février, d’autres disent le 13.