Il faut bien le dire : tout Le monde la trouvait mortellement ennuyeuse et, d’une manière ou de l’autre, ou voulait se débarrasser d’elle. Ecclésiastiques, militaires et les soi-disant hommes d’Etat, personne qui n’en eût assez, de cette Pucelle ! Elle avait gâté tous les usages, avec sa manière paysanne d’agir : de prime abord, définitivement, et sans aucune idée de lucre. Scandaleux, très dangereux précédent ! Puis, cette façon d’en appeler sans cesse à l’Evangile ? de prétendre qu’à l’heure de l’action il n’était plus temps de délibérer ? De s’introduire dans les conseils réunis exprès pour conférer sans elle ? De venir reprocher les pertes de temps ? De se mettre en route sans en avoir d’abord demandé la permission ? Et ce digne vieillard, ce haut dignitaire, Gaucourt, comme elle l’avait maltraité ! Non seulement maltraité ; elle l’avait exposé à être mis en pièces ! Elle, une jeune fille, une villageoise… Scandale ! Il fallait la ruiner moralement, en attendant qu’elle disparût physiquement en une de ces occasions que sa folle bravoure et son entêtement devaient offrir inévitablement.
Il est vrai qu’elle avait beaucoup fait et qu’elle pouvait faire davantage encore pour affranchir de la domination étrangère les provinces françaises ; mais les provinces n’avaient qu’à attendre, étant donnée la nécessité impérieuse de venger tant d’amours-propres outragés…
Après cette déconvenue, Jeanne, écoutant ses voix, voulait demeurer à Saint-Denis, mais on l’entraîna à la suite du roi, dans cette retraite prompte et délibérée qui n’eût pu convenir qu’à une armée battue. Alors commença pour elle une phase atroce de tortures morales et d’intimes souffrances, le passage d’une grandeur à l’autre, de celle de la gloire à celle du martyre.
On la mena à la suite du roi pendant plus de six mois. A la fin, vers la mi-avril 1430, « le roi étant dans la ville de Sully-sur-Loire, la Pucelle qui avait vu et entendu tout le fait et la manière que le roi et son conseil tenaient pour le recouvrement de son royaume, elle, très mal contente de ce, trouva moyen de se départir d’avec eux ; à l’insu du roi, et sans lui en avoir demandé licence, elle lit semblant d’aller en aucun ébat et sans retourner, s’en fut droit à la ville de Lagny, pour ce que les gens de cette ville menaient guerre contre les Anglais habitans de Paris et d’ailleurs. »
De Lagny, elle vint à Compiègne, dont le commandant,