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cette préparation dont nous savons aujourd’hui qu’elle doit ses propriétés à un tartrate double de potasse et de fer. L’usage s’en est perpétué au moyen âge, dans les « grands et nobles remèdes », Extraits de Mars et Teintures de fer, et jusqu’à notre temps dans le tartre martial et les célèbres boules de Nancy.

Ce n’est pourtant pas sous cette forme que le fer a été le plus habituellement employé par l’ancienne médecine. Il l’a été d’abord sous la forme d’eaux minérales naturelles, dont les anciens ont fait largement usage. Parmi les préparations artificielles, la plus usuelle était le « safran de Mars », autrement dit la rouille vulgaire. Utilisée accidentellement dès l’antiquité, elle avait définitivement pris rang dans l’arsenal thérapeutique au début du XVIe siècle, sous l’influence de l’alchimiste Paracelse. Elle y est restée pendant plus de deux siècles. On a peine à s’expliquer cette vogue prolongée d’un médicament qui, parmi les substances ferrugineuses, est certainement le moins capable d’exercer aucune action sur l’organisme. C’étaient d’ailleurs des raisons de doctrine qui l’avaient fait choisir des alchimistes : et c’étaient des précautions symboliques qui en avaient petit à petit compliqué la préparation. On soumettait le fer à la « calcination philosophique » ; ou bien on le faisait rouiller à la rosée du mois de mai, afin que cette rouille fût imprégnée de l’esprit universel ou mercure de vie qui se concentre dans la rosée printanière. C’est le « safran à la rosée » de l’ancienne pharmacopée. Néanmoins les médecins réellement observateurs n’avaient pas lardé à s’apercevoir du peu d’efficacité du safran de Mars, et à lui préférer d’autres composés du métal, comme le vitriol de fer (sulfate de fer) ou encore le métal lui-même, à nu, le fer métallique en poudre. Parmi les médecins célèbres du XVIIe siècle, Sydenham à Londres, et, au XVIIIe, Stoll à Vienne préconisaient, à la place de la rouille, la « limature » ou « limaille de fer ». On y a substitué, de nos jours, le « fer réduit ».

L’avantage du métal sur l’oxyde tient, ainsi que le montra L. Lémery en 1715, à une raison d’ordre chimique ; c’est que le fer amené à un état d’extrême division est facilement dissous et salifié par les sucs organiques et particulièrement par le suc acide de l’estomac, tandis que la rouille est souvent réfractaire à toute attaque et traverse inutilement l’économie sans produire ni subir de changement.

En définitive, la médecine des siècles précédens avait légué