son orgueil sous ses pieds, il se présenta, une pierre au cou, devant le roi des rois, il rentra en grâce, et cette réconciliation se lit aux frais et dépens de l’Italie.
C’est en Ethiopie surtout qu’il est vrai de dire avec les Espagnols que de toutes les choses sûres, la plus sûre est de douter. Dans ce pays qui ne ressemble à aucun autre, il faut s’attendre à tout et ne compter sur rien. Le fond des cœurs est impénétrable, les têtes sont passionnées et mobiles. Il se forme des intrigues dont personne ne saisit le fil. Tel conseiller, qui aujourd’hui a l’oreille du maître, tombera demain en disgrâce, et en quelques heures les affaires changent de face. Les peuples sont dociles et soumis, les chefs sont mutins, séditieux et perfides, et quoi qu’ils entreprennent, quoi qu’ils ordonnent, ils sont sûrs d’être obéis. Il est rare qu’ils s’entendent, qu’ils agissent de concert ; ils n’aspirent le plus souvent qu’à se détruire les uns les autres ; mais il y a parfois des courans d’opinion qui les mettent d’accord et entraînent tout. Quand on apprit que les Italiens projetaient d’imposer leur protectorat à l’Ethiopie, ce mot sonna mal dans tout le monde abyssin, et on put prévoir que le cabinet de Rome se repentirait d’avoir caressé une chimère. Cette Ethiopie si diverse, si mêlée, où il était si facile de fomenter les dissensions et les troubles, s’unit pour la première fois dans un sentiment commun. « On vit se répandre, dit le général, dans une race vaillante, martiale et superbe, un semblant d’idée nationale, combinée avec des superstitions et des dogmes, habilement patronnée par qui pouvait se flatter d’y trouver son profit. Sans doute elle ne faisait pas beaucoup de prosélytes convaincus et ne jetait pas de profondes racines dans les cœurs ; il n’en est pas moins vrai que la contagion s’étendait de proche en proche au grand détriment de notre influence. Du Choa à l’Oculé Cusai, on entonnait la chanson qui dit : « On se guérit de la morsure du serpent noir, on ne se guérit jamais de celle du serpent blanc. »
Les événemens se précipitèrent. Mangascia chercha noise à l’Erythrée, il fut battu à plate couture. Quel usage allait-on faire de la victoire ? Le gouverneur attendait et demandait des instructions. Devait-il prendre l’offensive, annexer à la colonie l’Agamé et le Tigré ? On le désirait, mais on ne s’expliquait pas nettement, on s’en tenait aux insinuations. Le 18 janvier 1895, le président du Conseil, M. Crispi, télégraphiait : « Le Tigré est ouvert à l’Italie ; nous ferons preuve d’une grande indulgence si nous ne l’occupons pas. » Le général répondait que l’occupation du Tigré et de l’Agamé offrirait de grands avantages politiques et militaires, mais qu’il n’avait pas assez de monde, qu’on