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qu’on jette, et cela ne tire pas à conséquence. On s’aperçoit un jour que la règle a du bon. Costard finira dans la peau d’un bourgeois correct, respectueux des convenances et même des préjugés, et Bobette, vieillie, sera une bonne dame qui invitera son curé et rendra le pain bénit. — A vrai dire, tout cela n’est pas sûr : témoin Labosse, demeuré polichinelle jusque dans un âge avancé. Puis, on ne voit pas assez si l’auteur est ironique dans cette conclusion même, et s’il se rend bien compte que Costard et Bobette, « rangés » de la façon qu’il dit, vaudront moins qu’ils ne valaient, puisque passer du nouveau jeu au vieux jeu, ce sera, pour eux, passer du cynisme ingénu à l’hypocrisie. — Mais surtout ce dernier acte est si inutile ! Et Catherine suffisait si bien à nous garantir la moralité de l’auteur !

N’importe, le Nouveau Jeu est une des comédies les plus spirituelles et les plus originales que j’aie vues ces dernières années… Il est fort bien joué par Mlle Jeanne Granier (merveilleuse ! ), par MM. Albert Brasseur, Dieudonné, Dumény, et par Mmes Marguerite Caron, Magnier et Diéterle, — comme Catherine (sur un autre mode) par MM. Worms, Le Bargy, de Féraudy, et par Mmes Brandès, Pierson, Lara et Lecomte.


M. Maurice Donnay a diverses originalités, toutes rares. Il me semble d’abord qu’il est le seul de sa bande qui écrive encore plus pour son plaisir que pour celui des autres ; et que cet esprit, qui plaît si naturellement, ne sacrifie que peu, si l’on y regarde de près, au désir de plaire. Ne vous y trompez pas, dans ses trois comédies psychologiques, ce « charmeur » est un réaliste très ingénu : je sens en lui un très sincère et presque intransigeant amour de la vérité, et une horreur des « ficelles », où il y a du défi et de la candeur. Son dialogue est unique. Si vous lisez ses pièces imprimées (j’excepte, bien entendu, Lysistrata), vous verrez que ce dialogue est ce qu’on a fait, au théâtre, de plus approchant, par le mouvement et la syntaxe, du style de la conversation. Pas une phrase « écrite » ; jamais on n’a plus subtilement usé de la syllepse, de l’ellipse, ni de l’anacoluthe. Et cette familiarité n’est jamais plate ; cela est ailé, fluide, et, d’autres fois, d’une couleur délicieuse. Car ce réaliste est un poète. Il fait beaucoup songer, par sa grâce, au Meilhac de la Petite Marquise, de la Cigale, de Ma Camarade, — avec, si vous voulez, une langueur plus chaude ou un pittoresque plus aigu : ce qui veut peut-être seulement dire qu’il est d’aujourd’hui.

Cette fois (dans l’Affranchie), il faut avouer que M. Maurice Donnay s’est laissé un peu égarer par sa chimère d’une comédie exactement