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ressemblante à la vie ; d’une comédie où il n’arrive, extérieurement, presque rien et où les principaux événemens sont les sentimens des personnages ; d’une comédie absolument simple, plus simple encore, quant à la fable, que Bérénice ou Amans (cette Bérénicette). C’est un nouvel épisode de l’histoire éternelle des amans. Dans la première pièce amoureuse de M. Donnay les amans se quittaient sans mensonge. Dans la Douloureuse, ils étaient séparés par un mensonge réciproque. Dans l’Affranchie, l’amant souffre moins d’un mensonge précis de sa maîtresse que de la découverte qu’il fait de son habitude de mentir, et il se débat moins contre tel ou tel mensonge que contre une menteuse. — Mais comme cette menteuse presque involontaire est une femme qui aime, cela forme quelque chose d’extrêmement complexe et embrouillé, qui demeure mal connu de celle même qui ment et de celui à qui elle ment ; quelque chose enfin de trop fuyant et de trop insaisissable pour être proprement dramatique. C’est du moins mon impression.

Voici les faits. Roger Chambrun est l’amant d’Antonia de Maldère, une dame libre, riche, de condition sociale un peu indécise. Roger a pour marotte la loyauté en amour. « Tu es libre, dit-il à Antonia ; et, le jour où tu ne m’aimeras plus, dis-le-moi franchement ; je ne te ferai aucun reproche. Pourquoi mentir, et souffrir ou faire souffrir inutilement ? » Roger est sans doute naïf de croire, ou que cette franchise est possible, ou qu’elle supprimerait la souffrance, ou que l’on connaît toujours le moment où l’on a cessé d’aimer. Mais les gens les plus spirituels peuvent avoir de ces naïvetés ; passons.

Or, au premier acte, Antonia ment à Roger, en lui faisant un récit arrangé de sa vie, et en lui contant qu’elle est veuve, alors qu’elle est divorcée et qu’elle a été chassée par son mari. — Au deuxième acte, Roger découvre ce premier mensonge, et Antonia lui en fait un second à propos d’une photographie d’un de leurs amis, Pierre Lestang. — Au troisième acte, Roger découvre ce second mensonge et que, dans l’entr’acte, Antonia est devenue la maîtresse de Pierre. Il lui dit son fait ; elle lui jure qu’elle n’a pas cessé de l’aimer ; elle lui avoue, avec les apparences d’une horrible franchise, qu’elle s’est donnée à Pierre par une curiosité perverse et inepte : mais Roger ne la croit plus ; il est plus irrité encore de ce perpétuel et inextricable mensonge que de la trahison elle-même ; et, Antonia étant tombée à la renverse sur un canapé, il sonne sa gouvernante et dit : « Soignez madame ; elle est peut-être évanouie. »

Ce « peut-être » est le mot final ; et le malheur, c’est qu’il pèse sur