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empressé de la Russie, puisqu’il avait stipulé tout ce qu’elle pouvait obtenir ; il gonfle la voix, et il déclare qu’assurément, ses exigences sont modestes, mais qu’il les imposera par un ultimatum au bout duquel sera un casus belli. Tant qu’on s’en était tenu à des propositions auxquelles la Russie n’aurait pas accédé, il n’avait pas voulu entendre parler d’ultimatum et de casus belli ; dès qu’on en vint à des conditions favorables auxquelles la Russie se prêterait bien volontiers, il mit fièrement la main sur la garde de son épée. Ni John Russell, ni Drouyn de Lhuys ne s’aperçoivent de la mystification. Les mots ultimatum, casus belli, que depuis tant de mois ils essayent en vain d’arracher à Buol, leur tournent la tête : ils acceptent.

Buol espérait du coup rentrer en grâce avec la Russie et en même temps obtenir la reconnaissance des alliés ; mais il restait tourmenté d’un dernier cauchemar, le Piémont, ce Piémont dont les troupes étaient en Crimée et qui, par-là, s’établissait de plus en plus au regard de l’Europe comme la représentation de l’Italie ! Il se surpasse dans la solution de cette difficulté. Drouyn de Lhuys avait dit à l’empereur François-Joseph, dans sa première audience : « Ce qui m’a conduit à Vienne, c’est bien moins le désir de faire la paix avec la Russie que de féconder l’alliance avec l’Autriche. Aux yeux de la vraie politique, la question d’Orient, malgré sa haute importance, est ici une question secondaire. » Dans sa dernière audience, François-Joseph reprend cette idée comme sienne : « J’espère que l’Empereur trouvera qu’une alliance perpétuelle entre nous pour défendre sur terre et sur mer l’Empire ottoman contre la Russie vaut mieux qu’un chiffre plus élevé (dans la limitation des forces navales)… » Il ne s’agissait plus d’une convention militaire provisoire, bornée à la durée d’une guerre, mais d’une alliance sans limites de temps, et nunc et semper, entraînant garantie réciproque des territoires, et par conséquent de la Lombardie et de la Vénétie. Du coup la question italienne était supprimée, enterrée. Drouyn de Lhuys consent toujours.

Les ministres anglais se préoccupaient peu de briser les chaînes de l’Italie, mais beaucoup d’affaiblir la puissance navale russe : à l’idée que, loin d’être affaiblie, elle serait maintenue, ils bondirent et désavouèrent Russell. L’Empereur, au contraire, se préoccupait moins d’affaiblir la Russie que de la brouiller avec l’Autriche. Il ne désavoua d’abord son ministre que du