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persévérer dans le siège, il fallait au moins observer les règles générales de l’art des sièges et ne pas lancer à découvert pendant 600 mètres des troupes contre des parapets où l’artillerie de l’ennemi n’avait pas été démontée. Vous auriez réussi par hasard le 18 juin qu’à mes yeux vous auriez été tout aussi coupable, et je me suis bien gardé de vous féliciter de la prise du Mamelon-Vert, car enfin les soldats que vous faites tuer sans résultat définitif, je ne puis les remplacer. Je vous ai demandé quelles étaient nos pertes, et vous les avez dissimulées. Je vais vous dire ce que vous avez perdu depuis que vous avez pris le commandement, 20 040 hommes, c’est-à-dire l’effectif du beau corps de réserve que je vous avais envoyé pour battre les Russes en rase campagne. Je vous reconnais beaucoup d’énergie, mais il faut qu’elle soit bien dirigée. Ainsi, ou vous consentirez immédiatement à expliquer en détail vos plans au ministre de la Guerre, ou vous ne ferez rien d’important avant d’en avoir demandé le consentement par le télégraphe, ou, si cela ne vous convient pas, vous remettrez de suite en mon nom, au général Niel, le commandement de l’armée. Personne ne connaît cette lettre, c’est à vous de choisir[1]. »

Avec tout autre que Vaillant, la lettre eût été expédiée et aurait produit ses lamentables conséquences. Le maréchal se conduisit avec un tact courageux, qui ajoute un titre des plus honorables à ceux qu’il a acquis dans sa longue et méritoire carrière. Il avait déjà préservé Canrobert d’une semblable algarade en n’exécutant pas l’ordre ; cette fois il était trop impératif ; il fallut s’y soumettre. Seulement, au lieu de mettre la lettre dans le pli de Crimée, il l’adressa au général commandant à Marseille avec instruction de ne la remettre au courrier de Crimée que sur nouvel avis. Un hasard heureux ayant amené à Paris le général Mac-Mahon, désigné pour prendre le commandement de la division Pélissier à la place de Canrobert, Vaillant entama par lui son attaque. Le général ne se proposait pas d’aller voir l’Empereur, Vaillant obtint qu’il le fît.

« Je viens, lui dit l’Empereur, de prendre une décision importante : j’ai remplacé Pélissier par Niel. — Mac-Mahon fit un

  1. J’ai trouvé dans les papiers de Vaillant une copie de cette lettre, faite de sa main, avec cette mention : Par ordre de l’Empereur, cette lettre, expédiée par le chemin de fer le 3 juillet à 5 heures du soir, a été retirée de la poste à Marseille le 4 juillet.