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service en empêchant cette lettre d’arriver à sa destination[1]. »

Le maréchal avait encore un service à rendre, qui était d’obtenir pour Pélissier, maintenu à la tête de son armée, la liberté des mouvemens. Jusque-là, entre l’Empereur, Niel et le général en chef, il était resté neutre, s’appliquant à amortir les chocs et à conjurer les ruptures ; alors il se prononça nettement en faveur du plan de Pélissier, et vis-à-vis de l’Empereur et vis-à-vis de Niel. Il dit à l’Empereur que le temps des diversions était passé ; qu’on serrait la place de trop près pour se distraire par une opération extérieure ; qu’il n’était pas possible d’abandonner un seul moment le siège ; que si on cessait d’être attaquant on serait à l’instant même attaqué, d’assiégeant assiégé.

L’Empereur, dont la ténacité de Pélissier avait lassé et découragé la persistance, finit par céder aux habiles instances de Vaillant, et Pélissier fut enfin laissé maître de poursuivre à son gré son siège. Les travaux du génie, sous la direction éclairée de Niel, furent poussés par le général Frossard avec une constance fougueuse et une science vaillante qui excitèrent l’admiration enthousiaste des deux armées. Le général Thiry dirigea supérieurement l’artillerie. Parmi ses auxiliaires, le général de brigade Lebœuf se fit remarquer. Il fut mis trois fois à l’ordre général de l’armée, et Pélissier écrivait de lui : « C’est un officier général des plus recommandables. Il est d’un rare mérite, et je désire pour l’artillerie qu’il atteigne promptement sa troisième étoile. » — L’arrivée de Mac-Mahon que, dès le début, Saint-Arnaud avait recommandé « comme un officier de guerre complet », accrut la confiance de Pélissier : « Avec lui, écrivait-il à Vaillant, je pourrai tenter certaines choses que, franchement, je croirais risquées aujourd’hui. »

  1. Mon récit a été fait d’après des notes de Vaillant qu’il a résumées dans son Carnet ainsi qu’il suit :
    « Mardi 3 juillet. — L’Empereur m’envoie une dépêche terrible pour la faire passer à Pélissier, je l’envoie par la poste et non par le télégraphe, afin de laisser une porte ouverte au repentir.
    « Mercredi 4 juillet. — Je fais des représentations très vives à l’Empereur sur sa lettre d’hier à Pélissier. Il parait ébranlé. C’est avant le Conseil, qui dure de 9 heures et demie à midi. A 1 heure, Walewski, Persigny, l’amiral Hamelin et moi sommes convoqués aux Tuileries. Un discute la lettre à Pélissier. L’Empereur se rend et m’autorise à faire revenir cette lettre de Marseille. Je crois avoir rendu un immense service en empêchant cette lettre d’arriver à destination. »