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populations mêlées. Avant l’annexion de toute la rive droite et de la vallée inférieure du fleuve par la Russie, toute cette province formait une sorte de marche militaire ; aujourd’hui encore elle est qualifiée non de « gouvernement », mais d’oblaste, comme les autres territoires de l’Amour, ce qui indique qu’elle est soumise au régime militaire et que toute son administration est concentrée entre les mains d’un général gouverneur. De ses 670 000 habitans un tiers est formé d’indigènes, un autre tiers de paysans ou d’habitans de ses tristes petites villes, un autre de cosaques qu’on ne distingue guère des paysans qu’à la bande jaune qui orne leur casquette et leur pantalon ; en échange d’exemptions d’impôts, ils sont soumis à des obligations militaires particulières ; mais le nom qu’ils portent ne paraît pas leur avoir donné toutes les qualités de leurs homonymes de la Russie d’Europe, et ils ne font pas, sous les armes, une bien brillante figure.

Les deux territoires qui ont été annexés en 1858 à l’Empire des Tsars aux dépens de la Chine, la province de l’Amour et la partie méridionale, la seule qui ait quelque valeur, de la province du littoral, sont encore à peine peuplés ; ils l’étaient bien moins encore avant l’arrivée des Russes, et ne comprenaient guère qu’une dizaine de mille Mandchous et à peu près autant d’indigènes, pasteurs et surtout chasseurs et pêcheurs, de diverses tribus. Les Mandchous sont restés et ont prospéré, les autres peuplades paraissent s’éteindre peu à peu ; vingt ou trente mille immigrans chinois et coréens sont arrivés surtout aux environs de Vladivostok ; cela n’empêche pas les immigrans russes de former encore les cinq sixièmes des 112 000 habitans de la province de l’Amour et plus des deux tiers des 214 000 de la province du littoral ; encore 30 000 des indigènes de celle-ci vivent-ils dans les régions arctiques, que les blancs leur abandonnent volontiers, et le territoire nouvellement acquis sur la Chine compte-t-il au moins 140 000 Russes sur 175 000 habitans ; il est vrai que cette forte proportion est due en partie aux troupes, chaque jour plus nombreuses, qu’on y accumule depuis que la guerre sino-japonaise a si profondément modifié la situation de l’Extrême-Orient.

La région méridionale agricole de la Sibérie est donc, contrairement aux contrées glacées qui s’étendent au nord, habitée surtout par des immigrans venus d’Europe. La proportion de ceux-ci, très forte dans la partie occidentale, décroît en même temps que la densité de la population quand on s’avance vers l’est, mais