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suite un rôle prépondérant dans l’acte de l’orientation : la vue chez l’oiseau, l’odorat chez le chien, etc.

Si l’orientation rapprochée est facile à expliquer par le jeu combiné des cinq sens, il n’en est pas de même pour l’orientation sur un terrain inconnu et lointain.

Prenons un exemple. Pour perdre un chat, on le met dans un sac et on l’emporte en chemin de fer à une distance de 80 kilomètres. Mis en liberté, il retrouve sa maison. Si la vue et la connaissance locale lui permettent habituellement de rentrer au logis après les fugues quotidiennes, il n’en saurait être de même aujourd’hui. Sa vue, fût-elle excellente, ne peut lui être d’un grand secours ; le moindre obstacle, un mouvement de terrain insignifiant, suffisent pour masquer le paysage qui lui est familier. Est-ce l’odorat qui est son guide habituel ? Dans ce cas les précautions paraissent bien prises pour mettre ce sens en défaut. Un fait subsiste cependant, — nous allons essayer de l’expliquer, — le chat a retrouvé assez facilement sa demeure. Choisissons un autre exemple. Les colombophiles de Bruxelles font chaque année un lâcher de pigeons à Bordeaux. Ils exécutent au préalable trois lâchers successifs à des distances progressivement de plus en plus grandes entre Bruxelles et Orléans, — dans la direction de Bordeaux par conséquent. Puis, après le lâcher exécuté à Orléans, on va, sans autre préparation, mettre les pigeons en liberté à Bordeaux, et ils rentrent. Peut-on attribuer leur retour à la mémoire locale, à une vue perçante ? — Admettons que, dans les trois lâchers préparatoires, les pigeons aient au passage remarqué quelques points de repère bien saillans entre Bruxelles et Orléans. Au moment de la mise en liberté à Bordeaux, les mouvemens de terrain, la rotondité de la terre, opposent une limite à leur vue, si perçante qu’elle puisse être. Pour apercevoir Orléans de Bordeaux, les pigeons devraient s’élever à plusieurs kilomètres au-dessus du sol, ce qui est matériellement impossible[1].

Citons encore un autre cas. Quelques pigeons, appartenant à un colombophile d’Orléans, avaient voyagé dans la direction de Reims. On eut l’idée de les lâcher à 500 kilomètres en mer au-delà de Nantes sans aucune préparation, et ils rentrèrent presque

  1. Les pigeons volent rarement à plus de 300 mètres au-dessus du sol. Mis en liberté en ballon à plus de 2 000 mètres, ils descendent avec une rapidité vertigineuse, se laissent tomber, et ne reprennent leur vol que dans le voisinage du sol.