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stationné. Il arrive de la sorte à Houdain. De là il part pour Évreux, reprenant le contre-pied du parcours effectué quelques jours avant en chemin de fer. À Évreux, où le colombier avait stationné pendant plusieurs mois, nous réussissons à le capturer. Cet itinéraire reconstitué en quelque sorte pas à pas n’est-il pas la meilleure preuve que nous puissions invoquer à l’appui de notre théorie ? Grâce à la loi du contre-pied, nous pouvons presque toujours déterminer le point précis où se trouve un pigeon perdu. Nous réussissons de la sorte à limiter nos pertes qui seraient sans cela nombreuses et difficiles à réparer.

Le retour du pigeon à un gîte qui se déplace n’est pas un fait exceptionnel : nous pourrions citer bien des exemples du même genre empruntés à l’histoire des oiseaux.

Les oiseaux de proie qui peuplent les forêts de l’Argonne et des Ardennes ou encore les solitudes des Alpes trouvent au printemps sur le sol natal tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, jeunes couvées et gibier en abondance. Mais quand arrive l’automne, quand le gibier a pris des forces et sait échapper par la fuite au ravisseur, celui-ci se voit contraint d’abandonner le domaine qu’il a dévasté : il émigré dans les plaines et mène une vie errante, se fixant momentanément dans les régions où le gibier est abondant. Il choisit au centre de ses terrains de chasse des gîtes temporaires, qu’il rallie chaque soir, jusqu’à ce que le printemps le ramène dans la solitude où il fait son nid. Quel est donc, au cours de cette expédition lointaine, le guide de l’oiseau de proie ? Évidemment le sens de la direction. On ne saurait en effet admettre que l’oiseau possède une mémoire assez puissante pour se souvenir pendant plusieurs mois de tous les accidens du sol qui jalonnent un parcours de plusieurs milliers de kilomètres. Toute la puissance d’observation de l’oiseau est en effet concentrée sur un objectif unique : la chasse. La topographie le laisse indifférent. Semblable à un appareil enregistreur déclenché au moment du départ, le sens de la direction note automatiquement tout le parcours effectué par l’oiseau à la poursuite de sa proie.

Le cormoran et beaucoup d’oiseaux pêcheurs suivent pendant plusieurs semaines parfois les grands courans de migration des poissons. Perdus au milieu de l’immensité des mers, ils savent bien regagner leur domaine quand la pêche est terminée.

Les naturalistes qui ont étudié l’orientation, n’ont, bien à tort, envisagé qu’un seul fait : le retour à un gîte unique ; ils l’ont