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attribué en général à la connaissance locale fondée sur une longue observation. Une semblable théorie ne permet pas d’expliquer les faits que nous venons de citer. N’avons-nous pas montré que le sens du contre-pied guide l’animal toutes les fois qu’il s’éloigne du terrain connu, lui fait retrouver un gîte temporaire et le ramène parfois, après plusieurs mois d’absence, sur la terre natale ?


VII

Il serait intéressant de savoir si la théorie que nous venons d’exposer est applicable à l’homme.

Les actions de l’animal sont toutes régies par la loi de conservation qui lui assigne impérativement un but, tout en lui laissant une liberté restreinte dans le choix des moyens. L’homme est bien sollicité par la même loi, mais l’instinct n’est pas la seule cause déterminante de ces actes ; il a aussi la raison. Tandis que l’instinct indique à l’animal une solution unique, la raison permet à l’homme d’envisager plusieurs solutions ; il choisit librement celle qui lui convient. Il peut même ne tenir aucun compte des sollicitations de l’instinct ; c’est ainsi que, par le suicide et les pratiques malthusiennes, il se met en révolte contre la loi de conservation de l’individu et de l’espèce.

Nous avons essayé de prouver que l’acte d’orientation lointaine repose uniquement sur le fonctionnement d’un organe : le sens de direction, qui agit en quelque sorte automatiquement. Si l’homme cherchant à s’orienter fait intervenir constamment la raison et l’observation, le sens de direction, ne s’exerçant plus, s’atrophie. Voilà pourquoi l’homme instruit qui calcule tout ce qu’il fait, s’oriente souvent moins bien qu’un individu dont la culture intellectuelle est limitée : il transforme en acte raisonné un acte qui devrait être en quelque sorte mécanique et impulsif. Il résulte de ces considérations que les peuples sauvages dépourvus d’instrumens perfectionnés et possédant des sens affinés peuvent nous fournir des faits plus intéressans que les peuples civilisés.

Un ancien attaché militaire à Pékin nous a raconté qu’effectuant de grands parcours à la chasse, il attachait à sa personne deux Mongols qui devaient, après plusieurs jours de voyage, le ramener à son point de départ. La confiance qu’il avait en ses