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guides n’a jamais été trompée : ceux-ci retrouvaient, au retour, la piste suivie à l’aller. Les Peaux-Rouges semblent, eux aussi, faire usage de la loi du contre-pied, quand, ayant chassé dans des territoires très lointains, ils regagnent leur pays après plusieurs semaines d’absence. Les nomades africains et asiatiques suivent dans leurs déplacemens des règles calquées en quelque sorte sur celles qui régissent les migrations des animaux.

Ces faits sont assurément très curieux, mais on ne saurait en tirer des conclusions rigoureuses : l’homme primitif sait, malgré son infériorité intellectuelle, raisonner ce qu’il fait. Il est, par suite, très difficile, en analysant un acte d’orientation, d’y discerner la part de la raison.


VIII

Nous avons vainement cherché dans les travaux des naturalistes une théorie qui expliquât d’une façon satisfaisante les actes d’orientation accomplis par les animaux. Beaucoup de remarques fort intéressantes ont été cependant faites sur leurs mœurs : la vie de certains d’entre eux n’a plus de secrets pour nous. Mais quand il s’est agi de remonter des effets aux causes, l’observateur a généralement fait fausse route. Se prenant, bien à tort, comme terme de comparaison, il s’est demandé comment il ferait pour accomplir tel ou tel acte instinctif constaté chez la bête. Or, si l’animal n’a pas la raison, il possède des sens dont la portée dépasse tout ce que nous pouvons imaginer.

On connaît cette expérience classique du paon de nuit femelle enfermé dans une boîte et exposé la nuit sur un balcon à Paris où on ne retrouverait guère de représentais de l’espèce. Le lendemain, trois ou quatre mâles venus sans doute des forêts voisines sont sur la boîte. Comment ont-ils pu savoir qu’à 20 kilomètres, ils trouveraient une femelle au milieu de Paris, où ils ne s’aventurent jamais ?

Quand, dans les Pyrénées, les chasseurs dépouillent un isard, ils ont beau dissimuler les entrailles sous un buisson ou dans un trou, les vautours apparaissent de tous côtés, alors qu’on n’en voyait pas un seul à l’horizon quelques instans auparavant.

De semblables faits sont inexplicables par ce que nous savons des sens — des nôtres surtout. Les actes d’orientation ne sont pas moins extraordinaires ; aussi les observateurs qui les constatent