Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en naissant de nos générateurs plus ou moins lointains. « Si Dieu a donné à l’homme le libre arbitre, écrira-t-il, il ne l’a donné qu’au premier homme créé, à celui qui est sorti directement de ses mains… Mais, à partir de Caïn, le libre arbitre disparaît. Caïn n’est plus maître de tous ses actes ; il subit son générateur. Le père a été coupable ; le fils est criminel ; la transmission physiologique commence, la nécessité héréditaire s’impose et ne s’interrompt plus. Tel père, tel fils. » Et, pendant deux pages, il développe méthodiquement cet axiome, avec preuves médicales à l’appui. Une autre fois, pour expliquer les désordres de femmes habituées à vivre en des milieux honnêtes, il alléguera « des origines de sauvage ou de saltimbanque », et il ira jusqu’à insinuer que, peut-être, « nous coudoyons tous les jours des Peaux-Rouges à teint rose, des négresses à mains blanches et potelées. » Il ne serait pas difficile, en analysant certains personnages de ses pièces ou de ses romans, en étudiant le rôle énorme que jouent dans ses écrits les questions physiologiques, de montrer combien sa philosophie entière est dominée par cette fameuse théorie de l’atavisme, dont a usé et abusé notre époque. Nulle part, en revanche, chez ce législateur consciencieux, consciencieux souvent jusqu’à la puérilité, on ne voit qu’il ait attribué au problème de l’éducation une importance majeure : quelques mots insignifiant sur les bienfaits de l’athlétisme, quelques lignes, d’ailleurs contradictoires, sur la vie au lycée ou au collège, constituent à peu près tout son bagage pédagogique. Pas plus lui que ses contemporains n’ont évidemment beaucoup tenu compte du poids formidable dont peut peser sur l’existence morale d’un être humain la direction initiale, fortement imposée dès la première enfance. Et pourtant, s’il fallait d’un fait de cet ordre un éclatant exemple, Alexandre Dumas fils serait là pour le fournir.

Il était fils naturel ; il l’était, en quelque sorte, plus que personne, puisque la précoce célébrité de son père publiait à tous les vents l’irrégularité de leur situation réciproque. Dès l’âge de dix ans, où il fut mis en pension, il connut la dure misère « d’avoir besoin de se défendre ». On sait, dans l’Affaire Clemenceau, les pages affreusement amères que lui inspira le souvenir de son séjour à l’institution Goubaux. Les gamins, dont il se trouvait le compagnon, et qui n’ignoraient pas sa naissance, se chargèrent de lui apprendre l’implacable loi du plus fort, la férocité instinctive des individus, la lâcheté des