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Une sorte de fièvre cérébrale, qui manqua de le tuer, fut le plus clair résultat de cet accès de dévotion folle. Quand il fit sa première communion, plein d’une ferveur dont il parlera encore avec attendrissement en 1879, dans la Question du divorce, il était déjà guéri. Puis, peu à peu, il reprit son équilibre complet, et rien ne subsista en lui de cet accident passager de son enfance, sinon, peut-être, une certaine tournure d’esprit mystique et doctrinale, dont la trace ne sera pas difficile à déterminer à travers son œuvre.

Mais des tristesses et des persécutions de son premier âge, un autre trait de caractère devait surtout lui rester, qui ne s’effacera jamais, et dont la marque se retrouve d’un bout à l’autre de sa philosophie sociale ; à dix ans, l’éducation à laquelle il était soumis lui avait fait prendre l’attitude du révolté ; jusqu’à sa dernière heure, il la gardera, si contradictoire qu’elle paraisse avec ses préoccupations constantes de législateur. Chez lui d’ailleurs, nous nous apercevrons, en des occasions multiples, que nous n’en sommes pas à une contradiction près, et, pour le point spécial que nous signalons en ce moment, encore importe-t-il de noter que le tempérament individualiste, hérité des ancêtres constituait au moins une prédisposition congénitale à l’instinct de révolte. Cet instinct, sous sa forme essentielle, est bien pourtant le propre d’Alexandre Dumas fils et de lui seul. Ni les actes d’indépendance et presque d’insubordination du général, ni les anathèmes farouches, mais passablement littéraires et artificiels, qu’Alexandre Dumas père a mis sur les lèvres d’Antony, ne sont des précédens sérieux à certaines tendances très nettes qu’a manifestées très souvent le maître du Demi-Monde ; et qu’il faudrait simplement qualifier d’anarchistes, si le mot, depuis cinq ou six ans, n’avait été détourné de son sens par l’application qu’on en a faite à une nouvelle catégorie de criminels.

Cependant, avant même qu’il eût terminé sa vie de collège, et aussitôt qu’il eut fini ce qu’on est convenu d’appeler pour chacun de nous « ses études », le futur moraliste recevait dans la maison paternelle une éducation autre que celle de la pension Goubaux, mais non moins fantaisiste, non moins singulière, et non moins dangereuse. Quelque dégagé que l’on puisse être des préjugés bourgeois, on aurait de la peine à proclamer de bon exemple pour un adolescent le spectacle de l’existence que l’on menait chez l’auteur d’Antony. La bonne humeur, et, au fond, l’impudique