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de Celse et d’Origène, au berceau même de la religion du Christ. » Ainsi s’exprimait, il y a tantôt quinze ans, James Darmesteter, dans sa brochure intitulée : Coup d’œil sur l’histoire du peuple juif ; et, s’il était encore de ce monde, ne regretterait-il pas aujourd’hui ces paroles ? Mais, par hasard, s’il les maintenait, lequel de nous poserait la question religieuse : nous, à qui l’on dénoncerait le Juif comme « le docteur éminent de l’incrédulité », ou lui, Juif, qui nous l’aurait lui-même dénoncé comme tel ?

Reconnaissons-le donc : quelques Juifs ne sont pas tout à fait innocens de l’antisémitisme. Et, d’ailleurs, je ne me dissimule pas, si je n’en crois pas devoir parler plus longuement, ce que le mot recouvre de préjugés héréditaires, d’appétits honteux, de passions basses ! Mais ces appétits, ces passions, ces préjugés, qu’on avait autrefois le courage d’appeler de leur vrai nom, c’est la science qui leur a procuré le moyen de se déguiser. « Ce serait pousser outre mesure le panthéisme en histoire, a-t-on dit, que de mettre toutes les races sur le pied d’égalité… Je suis donc le premier à reconnaître que la race sémitique, comparée à la race indo-européenne, représente réellement une combinaison inférieure de la nature humaine… » Méditez ces paroles, et quand on les a jetées une fois à la foule, essayez de les empêcher de courir à leur conséquence logique et naturelle, qui est qu’au nom de sa supériorité la « combinaison supérieure » a contre l’inférieure un droit inaliénable ! Empêchez-les de devenir l’excuse des passions, la justification des appétits, la glorification même des préjugés ! Ou bien encore dites-moi peut-être que celui qui les a écrites n’en avait pas calculé la portée, si vous l’osez dire de Renan ! Mais songez plutôt que, depuis tantôt un demi-siècle, ce langage a passé pour celui de la science, et ces inventions du linguiste ou de l’anthropologiste pour une forme du progrès.

ii. — l’armée et la démocratie

C’est de l’humanité même qu’il y va dans la question de l’antisémitisme, mais qui s’intéresse de nos jours à l’humanité ? quelques rêveurs peut-être, et il n’y a guère d’idée plus décriée ! Au contraire, je ne pense pas qu’il y ait de Français qui ne s’intéresse à la France ; et c’est vraiment de la France qu’il y va dans l’incompatibilité qu’on a prétendu découvrir entre les exigences de la démocratie et l’existence même des armées.