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parfois un peu de mesure, dans l’éloge comme dans le blâme, mais à qui nous n’en devons pas moins le seul livre qu’il y ait en français sur Chénier. Enfin, ce qui achève de compliquer le problème, c’est que, — comme le fait justement observer M. Louis Bertrand, — nous ne possédons pas « l’œuvre » d’André Chénier ; nous n’avons de lui que des brouillons, des ébauches, des notes. « Certaines pièces auraient été peut-être supprimées, qui ne sont que des essais de jeunesse. Nous ne savons dans quels morceaux certains vers seraient entrés définitivement, ni quel ordre enfin, dans la disposition de son recueil, le poète aurait adopté ». Nous ajouterons à cet égard que l’édition de M. Gabriel de Chénier, en 1874, est même venue comme obscurcir ce que le consciencieux Becq de Fouquières, à force d’application et d’amour d’André, semblait avoir à peu près éclairci.

C’est aux Élégies d’André Chénier que s’est presque uniquement attaché M. Henri Potez, ainsi qu’il nous l’avait promis dans le titre de son livre ; et il en a bien parlé ; mais il n’en a rien dit de très neuf ni d’inattendu. Je ne le lui reproche pas ! En littérature comme en tout, si quelqu’un avant nous a bien dit ce que nous pensons, pourquoi ne le redirions-nous pas ? La critique et l’histoire ne sont pas toujours à reprendre tout entières ; et nos pères, un peu pressés, ne nous ont pas toujours attendus pour dire de bonnes choses. Il faut seulement prendre garde à ne pas mêler ces choses confusément ensemble ; et, par exemple, je n’aime pas beaucoup l’idée que M. Henri Potez nous donne d’André Chénier, dans ce passage de son livre : « Il y a en lui un Grec contemporain de Périclès, à la fois citoyen et poète ; un écrivain précieux et subtil de l’alexandrinisme et de l’Anthologie ; un élégiaque qui a fréquenté chez Valérius Caton, qui a connu Tibulle et Properce ; un frère puîné de Ronsard, dont il a l’enthousiasme et l’humeur hautaine ; un homme du XVIIIe siècle. » Voilà sans doute beaucoup de choses ; mais surtout voilà des traits dont on ne saurait guère apprécier la justesse si l’on n’est soi-même presque un érudit, et voilà des traits un peu disparates, ou plutôt un peu dispersés, qu’il eût fallu trouver moyen de ramener à cette espèce d’unité intérieure sans laquelle un portrait manque de ressemblance, d’accent, et de vie.

M. Louis Bertrand, lui, s’est montré plus sévère que M. Potez. On souffre à le voir critiquer ce vers :


Le toit s’égaie et rit de mille odeurs divines ;


et à mettre sa critique des « alliances de mots » dans les vers de Chénier sous l’invocation de celle qu’Hugo, dit-on, a faite du style de Racine ;