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ou le savant auteur du Voyage du Jeune Anacharsis. Je me propose un jour de réhabiliter l’abbé Barthélémy.

Quelle est la cause de ce mouvement qui, dans les dernières années du siècle de Voltaire et de Condorcet, — je songe à l’Esquisse d’une histoire des progrès de l’esprit humain, — a fait ainsi refluer vers sa source le classicisme expirant ? et, de tous nos poètes, quelle ironie du hasard a voulu que, comme l’observent M. Louis Bertrand et M. Henri Potez, le dernier venu, Chénier, ressemblai le plus au premier : c’est Pierre de Ronsard ? Ainsi la fin des choses en rappelle parfois les commencemens ; et parfois, avant de s’éteindre, un grand feu jette dans la nuit une dernière gerbe d’étincelles ! M. Louis Bertrand en donne une assez ingénieuse et vraisemblable explication. On connaît le mot de Chamfort : « M. de…, qui voyait la source de la dégradation de l’espèce humaine dans l’établissement de la secte nazaréenne et de la féodalité, disait que, pour valoir quelque chose, il fallait se débaptiser et se défranciser et redevenir Grec et Romain par l’âme. » C’est ce que la philosophie du XVIIIe siècle a essayé de faire. Mais si l’idéal classique, celui de Racine et de Fénelon, de Boileau, si l’on le veut, de Bossuet même et de Corneille, n’avait consisté qu’à insinuer, pour ainsi dire, dans une forme vaguement ou à peine antique, des sentimens nouveaux, modernes, « chrétiens » et « français », quel pouvait être le résultat de se débaptiser et de se défranciser ? Uniquement de ramener à l’antiquité ou au paganisme, — tels bien entendu que l’on pouvait alors se les représenter, — l’inspiration du fond des choses comme l’imitation de la forme. Et en effet, le vers souvent cité :


Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques,


n’a pas d’autre signification, et le vœu qu’il exprime est d’ailleurs un peu contradictoire, — parce que la forme ne se distingue pas, ne se sépare pas ainsi du fond ; — mais il dit admirablement en quoi cette renaissance du classicisme a consisté ; ce qu’elle a d’analogue ou de presque identique dans la peinture de David et dans les vers de Chénier ; par où elle diffère de l’idéal classique du XVIIe siècle pour rejoindre celui de Ronsard ; les raisons qui la devaient faire échouer ; et comment enfin on s’est mépris du tout au tout quand on a vu, dans l’auteur du poème de l’Invention, de ses Elégies, et des fragmens de l’Hermès, un précurseur du romantisme.

Qu’André Chénier soit un poète, et que, de tous les dons du poète, il ait possédé le premier, le don de « penser par images », ou même de ne penser qu’autant qu’il imagine et qu’il voit ses idées s’animer,