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Anglais, aussi longtemps que le commerce britannique aura relativement aux autres la même supériorité qu’aujourd’hui : il y en a sans doute pour quelques années. Cette mainmise sur une administration aussi importante que celle des douanes a une valeur matérielle qui n’échappera à personne. Mais l’engagement le plus inattendu qui ait été pris par le Tsong-li-yamen est celui d’ouvrir le Yang-tsé-Kiang à la navigation européenne dans les mêmes conditions qu’à la navigation chinoise, et de ne céder à aucune autre puissance que l’Angleterre une parcelle quelconque du bassin du fleuve. En d’autres termes, l’Angleterre a mis une hypothèque politique sur un territoire qui représente à peu près la moitié de la Chine, et la moitié la plus riche, la plus prospère, la plus peuplée.

Il était réservé à cette fin de siècle de voir toutes ces nouveautés s’introduire dans le droit des gens, et, pour peu qu’on persévère dans cette voie, elle conduira très loin le siècle prochain. Après le bail emphytéotique de Kiao-Tchéou passé avec l’Allemagne, voici l’hypothèque sur tout le Yang-tsé-Kiang consentie à l’Angleterre. Celle-ci indique par-là, en traits sommaires, mais très larges, les limites qu’elle assigne à son ambition, quand viendra le démembrement du Céleste Empire. Jamais massacre de deux missionnaires n’avait plus rapporté à un pays quelconque qu’il n’a rapporté récemment à l’Allemagne ; et jamais emprunt, qu’elle n’a même pas eu besoin de consentir elle-même, n’a plus rapporté à un pays quelconque que celui dont nous parlons n’a rapporté à l’Angleterre.

Les choses étant ainsi, les autres puissances pouvaient-elles se borner à y assister en simples spectatrices ? L’équilibre entre elles était détruit : ne devaient-elles pas chercher à le rétablir, au moins dans une certaine mesure ? Si la Chine, comme nous l’avons déjà dit, s’était adressée à toutes à la fois, elle aurait sans doute obtenu des conditions financières aussi favorables, et certainement des conditions politiques plus modérées. En s’adressant à l’Angleterre et à l’Allemagne seules, elle a surexcité leurs appétits, et, par un contrecoup inévitable, elle en a éveillé d’autres. Le bruit a couru que la France et la Russie avaient protesté contre l’emprunt chinois. Nous n’en croyons rien : comment auraient-elles protesté ? La Chine est libre de faire un emprunt comme elle l’entend, et c’est tant pis pour elle si elle le fait onéreux. De l’emprunt lui-même il n’y a rien à dire. Nous lui avons déjà, sous le couvert de la Russie, prêté assez d’argent pour n’avoir pas un désir excessif de lui en prêter encore, lorsque d’ailleurs elle ne nous le demande pas. Mais le côté politique