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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/517

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naturaliste a su si bien les observer, que je donnerais pour son excursion en Labrador plus d’un voyage autour du monde. Tous les souvenirs dont il me fit part obligeamment, dans une longue journée de causerie à bâtons rompus, sont publiés maintenant avec beaucoup d’autres ; ils ont été imprimés à Montréal et on peut se les procurer à Paris[1], mais il manquera au lecteur, pour les goûter comme je le fis, d’être sur le Saint-Laurent même et de pouvoir se dire, en écoutant les plus curieuses histoires de missionnaires et de sauvages, de chasse, de pêche, etc. : « Il ne tiendrait qu’à moi d’aller lier connaissance avec les Montagnais et les Hurons, de pousser jusqu’à la Pointe-aux-Esquimaux, et, si j’en avais le goût et la force, de chasser le loup marin. A moins que je ne préfère pourtant une visite à Anticosti ! »

M. l’abbé Huard en revient. Tout le monde sait qu’un millionnaire parisien s’est rendu acquéreur, en 1895, de cette île, abandonnée comme l’un des points les plus ingrats et les plus inabordables qui soient au monde ; mais ce qu’on ignore peut-être, c’est l’importance de l’œuvre accomplie déjà par M. Menier dans ses États : le mot n’a rien d’exagéré, bien que le nouveau propriétaire reconnaisse la suzeraineté de la reine d’Angleterre. Il peut promulguer toute sorte de décrets et a déjà fort heureusement défendu l’usage des boissons fermentées, combattant ainsi avec énergie le seul vice du Canadien, vice plus qu’ailleurs excusable dans ces régions très rudes où il faut à tout prix se réchauffer. Il a aussi interdit la chasse et la pêche, pour assurer le repeuplement des eaux et des forêts.

Comprenant à merveille les besoins et les intérêts de la population, n’hésitant pas en outre devant de grosses dépenses, M. Menier réussira très probablement dans son entreprise, l’une des plus passionnantes qui puissent tenter un homme d’imagination, car tout est à créer. Depuis la mort de Jolliet, à qui Louis XIV en avait fait don, pour le récompenser d’avoir découvert le pays des Illinois et parcouru la baie d’Hudson, cet endroit déshérité a été livré à lui-même. Il n’est connu que par ses naufrages et par la légende du fameux Gamache. Une exploration a prouvé que ce sol de 135 milles de long sur plus de 30 de large possédait cependant une valeur indiscutable au point de vue des pêcheries, des forêts et de l’élevage. Le revers de la médaille, c’est que

  1. Labrador et Anticosti, par l’abbé V.-A. Huard, 1892 ; Roger et Chernoviz, 7, rue des Grands-Augustins.