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à l’heure, une montagne couverte d’arbres fut engloutie, certains cours d’eau furent détournés, certaines sources taries, tandis que d’autres jaillissaient soudain. Les Eboulemens sont le point où les traces de ces phénomènes se retrouvent le mieux.

Cependant nous côtoyons le long des grèves beaucoup de pêcheries qui se révèlent par des perches, indiquant au-dessus de l’eau des tentures où le poisson reste captif. La pêche est la grosse industrie, mais elle ne se fait pas en barque. Nous n’avons rencontré que des bateaux de transport. On me parle du saumon, de l’esturgeon, de la morue, du hareng, des anguilles ; tout cela me laisse indifférente ; ma secrète ambition serait de voir une baleine. Sur la foi d’un guide imprimé je m’imagine n’être plus très loin des parages qu’elles fréquentent. Hélas ! il me faut perdre mes illusions, les vraies baleines sont devenues fort rares dans le Saint-Laurent ; la baleine blanche sur laquelle je comptais n’est qu’un vulgaire marsouin. Entre l’île aux Coudres et Saint-Irénée, les tentures qui grandissent et se multiplient sur une énorme étendue sont dédiées, me dit-on, à ces souffleurs. A partir de la fin d’avril ils se promènent par mouvées si nombreuses que le fleuve semble couvert de boules d’écume ; quelques-uns mesurent quinze ou dix-huit pieds. Faute de baleine, je me serais contentée de la rencontre d’un marsouin de belle taille. La vérité m’oblige à dire que je n’en ai pas vu un seul, grand ou petit. Et pourtant rien de ce qui s’est produit sur le Saint-Laurent depuis sept heures du matin n’a pu passer inaperçu pour moi. A peine ai-je quitté mon poste sur le pont pour aller faire un repas rapide et frugal, car la table n’a rien de recherché, pas plus que mon logement particulier dont s’excuse le capitaine, homme aimable, préoccupé du bien-être des passagers auxquels il vient de temps à autre tenir compagnie. « Un peu plus tard dans la saison, me dit-il, vous auriez la lumière électrique, mais je vous avertis que le règlement ne permet ni lampes ni bougies dans les cabines par crainte du feu. »

Là-dessus il se met à me décrire la haute élégance des steamers d’été, l’aspect animé du pont couvert de touristes américains, de demoiselles fort gaies qui dansent, flirtent et font de la musique, jusqu’à ce que la solitude et la simplicité de ce pauvre petit bateau d’hiver où je suis me paraissent en comparaison chose délicieuse.

La station prochaine, à la Malbaie, provoque autour de moi une