n’ont rien de séditieux. Quelqu’un me dit en haussant les épaules : « Si son concurrent l’avait emporté, les mêmes gens s’égosilleraient de la même façon, seulement les drapeaux seraient bleus. Ils ont si peu d’occasions de s’amuser ! » Jamais je n’avais encore vu pareille affluence de voitures, toutes pavoisées, sans être pour cela moins crottées qu’à l’ordinaire. Le député, se frayant avec peine un chemin au milieu de la multitude, fumante de passion électorale, monte dans l’une d’elles. Je m’étonne que l’exemple de Montréal où l’on détela les chevaux de l’honorable M. Marchand ne soit pas suivi à Chicoutimi ; peut-être la pente est-elle trop raide pour permettre ce genre de délire. En un clin d’œil toutes les autres calèches sont envahies par le cortège ; à peine s’il reste la plus piteuse de toutes à ma disposition, mais, si sale qu’elle soit, et si peinte en jaune, elle a comme toutes les autres un cocher obligeant et un bon cheval. Me voilà donc lancée pêle-mêle avec les manifestans au grand galop, au milieu des acclamations, figurant, bon gré, mal gré, dans cette scène toute locale, bien que j’aie eu soin de dire en montant qu’on me conduisît au séminaire. Le dernier mot très courtois de M. le Supérieur a été en effet pour m’y inviter.
Marche donc ! Marche donc ! Encouragés ainsi nous atteignons très vite par bonds et par secousses la cathédrale, perchée sur la route la plus creusée d’ornières qui puisse exister dans les deux mondes. Je suis avertie qu’elle est d’un style corinthien très pur, mais ce qui me frappe surtout, c’est son énormité. Elle suffirait comme dimensions à une capitale. La vue du trône de l’évêque me fait penser à ces visites pastorales laborieusement poussées sur d’immenses étendues, soit en chaloupe, soit même à pied lorsque les chevaux n’existent pas, vers des paroisses où, par permission spéciale de Rome, on chante la messe en langue montagnaise, où n’arrivent que quatre courriers par hiver, où l’église en tant que bâtiment est encore à naître parfois, un des fidèles prêtant sa demeure comme il arrivait chez les premiers chrétiens. Et c’est bien tout de bon l’église primitive ; l’évêque a besoin d’autant d’énergie physique, ou il s’en faut de peu, qu’un trappeur. Chemin faisant, il célèbre des mariages, donne la confirmation, bénit des barges qu’on lui amène ; sur son passage une fusillade d’honneur bien nourrie retentit, les canots d’écorce volent au-devant de lui et de pauvres missionnaires, qui parfois desservent jusqu’à vingt lieues sans se