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hostilité. Malgré les froissemens, les mauvais procédés, les lassitudes, il ne put jamais se résoudre à une rupture définitive. Drouyn de Lhuys lui ayant dit que la France avait vu avec plaisir la chute de Louis-Philippe, à cause de son alliance avec l’Angleterre, il lui répondit : « Louis-Philippe n’est pas tombé à cause de son alliance avec l’Angleterre, mais parce qu’il n’était pas sincère avec elle. »

Il ne fut pas moins constant envers la Prusse. Bignon, celui auquel Napoléon Ier avait confié par son testament la mission décrire son histoire diplomatique, a dit : « On se demandera un jour pourquoi, dans les six dernières années de son règne, Napoléon s’est montré sans pitié pour la Prusse : c’est que la Prusse aura été la puissance qui lui aura fait le plus de mal, en le forçant à la combattre, à la détruire, elle qu’il eût voulu étendre, fortifier, agrandir pour assurer par son concours l’immobilité de la Russie et de l’Autriche. » Le roi Louis avait repris cette pensée sous une forme affirmative : « La Prusse est l’alliée et l’amie inséparable de la France[1]. » Son fils, dans ses Idées napoléoniennes, l’adopta[2]. Devenu Empereur, il compta sur le secours de la Prusse pour opérer le grand remaniement européen qui était sa pensée constante. L’éventualité d’une lutte avec elle n’entra jamais dans ses prévisions, comme y fut, dès son avènement, celle d’une guerre avec l’Autriche. Il s’abandonnait d’autant plus à ses dispositions bienveillantes qu’elles n’étaient pas de nature à lui créer des embarras avec l’Angleterre. Il ne craignait pas d’avoir à opter un jour entre l’une et l’autre amitié, puisque, dans l’intention de brider nos prétendus projets de revanche — leur crainte bien plus que notre préoccupation — les hommes d’Etat anglais avaient admis comme une règle de leur politique nationale de travailler de leur mieux à la grandeur de la Prusse et à l’établissement de sa prépondérance au-delà du Rhin.

Le choix de ces alliances n’impliquait-il point la renonciation à toute idée de conquête n’importe où, surtout en Belgique et sur le Rhin ? Dès le temps d’Elisabeth[3], et à plus forte raison

  1. Réponse à Walter Scott, p. 90.
  2. Œuvres, t. 1, p. 133 et 136.
  3. Sully, CCXIV, section 4e. « Cette sage reine (Elisabeth), dit librement à celui que le Roy (Henri IV) lui avait envoyé que si le Roy son maître, encore qu’il fût son bien-aimé frère, voulait joindre ses provinces (des Pays-Bas) à la France, qu’elle s’y opposerait formellement et ne trouverait nullement étrange qu’il fit le semblable en son endroit. »