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nord, l’union Scandinave ; à l’est, l’union des principautés danubiennes. L’union ibérique eût arraché le Portugal à l’Angleterre ; l’union des principautés, le Danube à la Russie ; l’union Scandinave, la mer du Nord à l’Allemagne. Aucune ne nous intéressait directement ; par quelle raison l’Empereur s’y était-il acharné ? Ici nous touchons à la passion qui en lui a dominé toutes les autres.

Il s’efforçait de déranger le plus de choses possible dans le monde, de modifier un peu ou beaucoup, sous les latitudes les plus éloignées, l’assiette actuelle des Etats, afin d’amener les souverains à un Congrès, dans lequel eussent été examinés ou plutôt confirmés les changemens opérés et imminens, et qui eût établi une charte territoriale nouvelle de l’Europe. La réunion d’un Congrès solennel, en quelque sorte œcuménique, de ce congrès ajourné par Bastide à un avenir indéfini, effaçant par l’importance et surtout par la nouveauté de ses décisions le Congrès de Vienne, tel a été le but auquel a tendu sans cesse l’Empereur ; c’était le sens de cette révision des traités de 1815, dont il entretenait le prince Albert : c’est l’explication de ses remue-mens perpétuels, de ses projets sans cesse renaissans, de son impossibilité de se tenir tranquille. Véritable représentant des idées de son temps, patriote humanitaire à la moderne, poursuivant la délivrance des nationalités et non des extensions territoriales, il eût voulu conquérir le droit de dire : « Les traités faits contre Napoléon Ier ont été déchirés par Napoléon III. Et la France, les mains nettes, se contentant d’avoir aboli cette charte de son humiliation, n’a demandé pour sa peine que l’affranchissement des peuples opprimés. C’est ainsi qu’elle a vengé Waterloo et Sainte-Hélène ! »

La sincérité de ses intentions est confirmée par le choix de ses alliances. Il s’attacha à celles, déjà ébauchées pendant la présidence, avec l’Angleterre et la Prusse.

Pendant tout son règne, l’alliance avec l’Angleterre lui fut comme une espèce de dogme politique. Il la croyait indispensable au progrès de la civilisation, et il avait le sentiment superstitieux que la durée de sa dynastie en dépendait. L’Angleterre avait triomphé du génie de son oncle ; la Restauration avait été emportée au moment où elle s’en séparait ; la chute de Louis-Philippe avait suivi la rupture de l’entente cordiale : il se croyait menacé d’une pareille catastrophe, s’il s’exposait à une pareille