Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/631

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soit permise. Mais, dans ces conditions, et malgré son perpétuel appareil de « légalisme », on est bien contraint de conclure qu’il fut tout au plus ce phénomène fantastique et incohérent que l’on pourrait qualifier : un législateur anarchiste. Et c’est pourquoi ses commentateurs ont été également bien fondés à le considérer tantôt comme un moraliste conservateur, tantôt comme un révolutionnaire, tantôt comme un « bourgeois ». C’est pourquoi surtout ses longs efforts demeurèrent stériles, ou, pour mieux dire, aboutirent à des résultats diamétralement opposés à ceux qu’il avait poursuivis.

Il tenait sans doute la forme d’anarchisme inconscient, qui constitue une de ses principales caractéristiques, un peu de ses hérédités, beaucoup de son éducation où on le laissa entièrement livré à lui-même, et plus encore, du fonds d’idées commun à son temps et à son milieu. Depuis plus d’un siècle, dès avant la Révolution, l’esprit public en France n’a pas cessé d’exalter de plus en plus violemment l’individu, et d’annihiler autant que possible les élémens représentatifs de l’entité sociale. Les castes ont disparu. Toute hiérarchie et toute discipline restent ébranlées et instables. L’Etat a été constamment dénoncé, par les philosophes de l’école dite libérale, comme suspect de gêner la sacro-sainte expansion individuelle de chacun, à moins qu’il n’ait été considéré, par les philosophes de l’école dite socialiste, comme formellement obligé à favoriser cette expansion. En définitive, il n’a été compris ni par les uns ni par les autres, qui n’ont jamais eu en vue que le droit divin de la personne humaine, et qui lui ont tout subordonné. Le maître de la comédie moderne se trouva ainsi en parfaite communauté d’opinions avec la quasi-unanimité de ses contemporains. Il se trouva même d’autant plus à l’aise parmi eux, que s’a qualité de romancier et de dramaturge le contraignait professionnellement à ne jamais arrêter son attention que sur des cas particuliers, à n’envisager que des situations, des sentimens ou des passions exceptionnels, à cultiver en un mot exclusivement les « individus » qui, seuls, sont romanesques ou dramatiques. Il généralisait ensuite naïvement les aventures personnelles de ses héros ; il en tirait des séries d’argumentations subtiles, où la part des purs sophismes est d’ordinaire dans une proportion notable ; et, finalement, il ne s’apercevait point qu’il donnait comme des vérités d’ordre public la réglementation solennelle de certains faits d’ordre privé.